Le décès de Jacqueline de Romilly ne marque pas, je l'espère, la fin de ses combats pour une conception exigeante et humaniste de la culture et de l'éducation.
Cette vision, qui remonte à la Renaissance, n'est en rien passéiste, bien au contraire, puisque, comme le dit Hélène Carrère d'Encausse, Jacqueline de Romilly "considérait que la langue et la culture grecques étaient une éducation à la compréhension de la liberté de l'individu, de l'attachement à la démocratie". Et aussi, pourrait-on ajouter, une incitation à réfléchir au sens même de l’humain. Son combat partait bien entendu de la défense du grec et du latin, mais s'étendait à l'enseignement des langues et des cultures étrangères, à la défense d'un enseignement littéraire de qualité, et au-delà de toutes les Humanités.
Toute cette culture classique est une force dans notre société contemporaine, qui manque de réflexion sur elle-même, qui privilégie l'instanéité à la mémoire, le traitement de l'information à son analyse et sa mise en perspective. C'est aussi à cela que nous invitait Jacqueline de Romilly, avec son humour, son esprit acéré, sa modestie aussi. Car il ne faudrait pas oublier derrière ses combats quelle formidable helléniste elle fut !
Et à travers elle, je pense aussi à tous les professeurs de lettres classiques qui, comme Jacqueline de Romilly, comme ma tante, croient profondément que l'apprentissage des langues anciennes est une richesse pour le monde contemporain, une ouverture incomparable, qu'il est aussi un vecteur d'égalité des chances, et que, loin de se restreindre à une élite dont il ne serait qu'un des privilèges, il doit être offert à tous.
Claude Levis Strauss, Jacqueline de Romilly, tous les géants s'éteignent les uns après les autres sans autre relève que celle des bavards compulsifs et narcissiques persuadés de voir plus loin qu'eux.
Ces humanistes témoignaient pourtant d’une époque dont on espérait encore qu’elle marquerait une fois de plus la possibilité d’un progrès de l’humanité par la connaissance et les savoirs. Ils sont restés si longtemps comme des sentinelles pour nous implorer de lutter contre la paresse et la satisfaction d’être uniquement nous-mêmes.
Désormais, nous restons seuls et nous n’avons pas su saisir leur message de progrès et d’effort, d’expérience et d’humilité, telle la polis serons-nous emportés dans la tourmente du vulgaire ?
Qu’avons-nous fait de nos héritages culturels et des luttes pour la lumière de nos ascendants ?
Rédigé par : Pierre Bordeaux | 20/12/2010 à 11:28