Stratégie politique en vue des primaires socialistes ou vraie conviction ? En tout cas, la petite phrase de Manuel Valls appelant dimanche 2 janvier à "déverrouiller les 35 heures" a provoqué l'animation politique de cette rentrée, ses camarades socialistes hurlant au loup - et ne faisant donc que renforcer le spectacle de leurs divisions -, et l'UMP en profitant pour montrer, à peu de frais, le bien-fondé de sa politique économique. Il est vrai qu'il est assez amusant de constater combien le PS semble s'être arrêté à la fin des années 1990, et semble plus occupé à des débats sémantiques et personnels dépassés qu'à une véritable réflexion sur le monde actuel.
Pourtant, à y regarder de plus près, c'est un débat essentiel qui se joue au Parti socialiste sur cette question des dogmes - la retraite à 60 ans, les 35 heures, etc. Raffaele Simone, dans son livre Le Monstre doux, montre que la gauche a progressivement abandonné ses valeurs les plus fortes (la République, la laïcité, l'Egalité, l'ordre républicain) au profit d'un discours émollient qui ne touche plus des individus principalement préoccupés de leur sort - d'où la domination européenne d'une droite populiste qui n'a pas plus de valeurs communes mais parle davantage aux intérêts propres de chacun. Je ne rentrerai pas dans la critique de ce livre et de sa thèse, qui fera l'objet d'une autre note, mais je reprendrai l'idée que la gauche a peu à peu vidé son discours de ses valeurs et dogmes traditionnels. La question est : doit-elle aller jusqu'au bout de cette transformation - ce que semble suggérer Manuel Valls - et repartir sur des bases nouvelles ou doit-elle au contraire redonner du sens à ses valeurs premières ? C'est aussi l'interrogation d'un Jacques Julliard quand il parle de l'échec de la social-démocratie.
Martine Aubry a choisi très clairement la deuxième option dans le domaine social, avec un projet pour "l'égalité réelle" qui n'aurait pas déparé dans le programme commun de la fin des années 1970. Plafonnement des revenus et des loyers, encadrement des médecins, remunicipalisation de l'eau , le projet ne fait pas dans la finesse et le pragmatisme, mais a au moins le mérite de la clarté : un programme socialiste, dirigiste, classique. Face à cela, Manuel Valls défend une approche plus pragmatique, tenant compte des réalités économiques. Il n'est pas inintéressant de constater que c'est l'inverse sur le terrain der la sécurité et des valeurs républicaines. Valls y défend une approche très Clemenceau quand Martine Aubry peine à sortir du flou bien-pensant.
Il est étonnant de constater à quel point le débat d'idées semble difficile au Parti socialiste, et il semble bien qu'aucune ligne directrice claire n'émergera encore cette année. Cela ne doit pas conduire la majorité présidentielle à donner dans l'autosatisfaction. C'est bien un projet pour les Français et la France qu'il faudra présenter en 2012, un projet qui ne pourra pas faire l'impasse d'un positionnement clair sur le rapport entre croissance économique et justice sociale, sur la question des protections et des libertés dans l'Etat Providence, sur les valeurs de la République et la cohésion de notre société. Ces questions que les socialistes se posent et dont ils ne parviennent pas à débattre sereinement, nous devons également nous les poser, permettre le débat interne, et en tirer un projet cohérent.
NB : je remercie Fabien M. pour le don de cet excellent jeu de mots ! Une brillante carrière de titreur à Libé s'offrirait à lui s'il n'avait pas déjà d'autres occupations assez prenantes.
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