Le colloque du Club 89 organisé ce samedi 2 avril à l'Assemblée nationale sur le thème des libertés religieuses a rassemblé plus de 250 personnes venues écouter des spécialistes des religions reconnus, comme Jean-Paul Willaime, sociologue des religions, directeur de l'Institut européen en sciences des religions, Martine Cohen, sociologue, professeur des Universités, Thierry Rambaud, professeur spécialiste de droit comparé, Francis Messner, auteur du Dictionnaire du droit des religions en Europe, directeur de recherches au CNRS, et Lionel Obadia, professeur d’anthropologie des religions. Un grand merci aux intervenants, tous passionnants, et bravo à tous ceux qui ont organisé ce colloque, et notamment Thibault Duchêne.
Voici les conclusions qui ont été tirées de ce colloque par Benoist Apparu, Président du Club 89.
« Retrouver l’esprit de la loi de 1905 pour renforcer la relation entre la République et les cultes »
Voici plusieurs mois que le Club 89 a décidé de s’interroger sur la place des cultes dans notre République laïque. Des entretiens avec des personnalités politiques, des chercheurs et des responsables religieux nous ont permis de préparer au mieux le colloque du 2 avril dernier. Et lors de celui-ci, nous avons pu mettre en regard la réalité du paysage religieux actuel et l’évolution de notre conception de la laïcité grâce aux interventions très riches des universitaires invités, spécialistes des religions et du droit.
Au gré de ces échanges, nous avons constaté que la progression de nouveaux cultes en France avait été de pair avec une vision restrictive de notre conception de la laïcité.
La loi de 1905, référence absolue dans notre débat public, porte une approche multiforme de la laïcité. Elle promeut une laïcité de neutralité – l’Etat n’avantage aucun culte –, mais aussi une laïcité de composition – quand elle aborde la question des aumôneries – et même une laïcité de proposition - lorsqu’elle dispose que l’Etat garantit le libre exercice des cultes. Loin d’ignorer les cultes, la loi dispose que, pour garantir à tous la laïcité dans l’espace public et partagé, l’Etat doit permettre la pratique privée. Pourtant, notre conception de la laïcité s’est trop souvent restreinte à une laïcité de combat qui n’est pas celle de l’esprit de la loi, telle que l’a conçue Aristide Briand. L’enjeu de 1905, c’est-à-dire de ne pas laisser le magistère moral de la société aux églises, est aujourd’hui dépassé. Les religions peuvent jouer un rôle dans l’espace public sous la double condition que l’Etat n’en favorise aucune et que les valeurs républicaines s’imposent à elles.
C’est parce que la loi de 1905 assure depuis plus d’un siècle le vivre ensemble qu’il nous faut, tous ensemble, protéger, préserver et renforcer cette conception de la laïcité à la française.
En ignorant les problèmes actuels, en créant une pratique religieuse à deux vitesses, en opposant les pratiquants aux non croyants ; c’est bien la laïcité que l’on met en danger.
Il nous semble nécessaire d’octroyer de nouvelles libertés religieuses pour justement réaffirmer d’autant plus fortement la soumission des cultes aux valeurs de la République. Pour cela, nous proposons un véritable pacte entre la République et les religions, ce pacte que posait justement la loi de 1905 et qui doit être renouvelé, sur les mêmes fondements, dans le contexte religieux actuel. Précisons tout de suite pour celui qui voudrait nous faire un procès d’intention sur l’Islam, que cette question concerne par exemple la progression des mouvements chrétiens évangéliques ou encore celle du bouddhisme, tout autant que les mutations du judaïsme ou du catholicisme.
Notre conviction est simple : à de nouvelles libertés religieuses doit correspondre une fermeté réaffirmée concernant le respect de la loi par tous et pour tous.
Pour permettre cet équilibre, le Club 89 propose la création d’un Conseil national des cultes qui organiserait le dialogue entre l’État et les confessions religieuses représentatives – et favoriserait le dialogue entre elles. Ce Conseil pourrait bénéficier de l’apport de philosophes, sociologues, juristes, spécialistes des religions, afin d’enrichir sa réflexion et de créer un véritable de dialogue fondé sur la connaissance, la tolérance et le respect.
De même que Napoléon posa en 1807 un certain nombre de questions au Consistoire, il y a aujourd’hui des questions essentielles que nos concitoyens peuvent aujourd’hui se poser et sur lesquelles l’Etat doit interroger les cultes et s’interroger lui-même. C’est ensemble que nous devons trouver les réponses à ces questions, dans une vision de la laïcité qui redeviendrait ainsi un objet vivant et non « sacralisé ».
En termes de méthode, il appartiendrait au Conseil national des cultes d’organiser ce dialogue afin de parvenir à des conventions signées entre l’Etat et les cultes. Le Conseil veillerait par la suite à l’évolution de ces conventions. Ce Conseil permettrait de mieux prendre en compte la pluralité externe, mais aussi interne, des cultes dans notre pays, et de faciliter un dialogue permanent, comme c'est le cas en Alsace-Moselle.
Pourquoi ce Conseil national des cultes et pourquoi ouvrir ces débats ?
Combien de fois, en trois mois, avons-nous entendu ces questions ?
Nous n’avons pas, au club 89, la prétention d’apporter toutes les réponses. Mais, nos recherches nous ont permis de mettre en exergue une série de grandes interrogations.
La première de ces interrogations concerne les services publics et la laïcité. La pratique religieuse ne peut pas être en contradiction avec le fonctionnement normal des services publics, par exemple, quand une pratique religieuse ne permet pas d’être soigné correctement, ou gêne le fonctionnement des urgences hospitalières. Dès lors que ce principe est assuré, de nouvelles libertés peuvent être garanties. Le Club 89 propose deux avancées en la matière : l’une est l’adaptation des aumôneries, militaires, dans les hôpitaux, les prisons, prévues par la loi 1905, au paysage religieux actuel ; l’autre est le développement de carrés confessionnels dans les cimetières. Cette question touche à l’intime, et ne représente en rien une menace pour la laïcité : pourquoi freiner leur développement, conduisant certains de nos compatriotes à vouloir se faire enterrer à l’étranger ?
La deuxième de ces interrogations concerne l’éducation et la laïcité. Comment accepter que demeurent en France des écoles privées hors contrat où les enfants puissent être instruits de manière totalement incontrôlée, en ignorant parfois les lois de la République ? Certaines écoles ne proposent qu’une formation religieuse, et seul un contrôle visant à éviter l’illettrisme est prévu par la loi. Rien n’empêche aujourd’hui de créer une école créationniste, ou de ne proposer que l’apprentissage d’un texte religieux. Des exemples récents, comme celle d’une école intégriste à Bordeaux ne respectant pas les valeurs fondamentales de notre démocratie, ont montré l’urgence d’agir dans ce domaine. Il existe pour les établissements publics ou sous contrats, un socle commun de connaissances défini par la loi Fillon de 2005. Un dispositif similaire, qui garantit la formation de citoyens, doit être créé pour les écoles hors contrat qui rassemblent aujourd’hui 250 000 enfants. Sur la base du socle commun, il faut définir des grandes finalités qui constitueraient un cadre républicain pour la scolarité obligatoire. Elles concerneraient les matières suivantes, Français, mathématiques, Histoire et éducation civique, ainsi que les sciences naturelles, et seraient contrôlées régulièrement. Une telle disposition n’enlèverait rien à la spécificité des écoles privées hors contrat, mais garantirait l’intégration à la République de tous par l’école. Cette clarification doit aller de pair avec un encouragement à la contractualisation, qui permet d’assumer pleinement la dimension religieuse tout en garantissant le financement de l’éducation obligatoire.
La troisième de ces interrogations concerne la formation des ministres du culte. Aujourd’hui, certains rabbins sortant d’écoles talmudiques, des imams formés en écoles coraniques, ou des prêtres formés uniquement à l’étranger, ne bénéficient pas forcément d'une approche des lois de la République et de la conception française de la laïcité. Il ne s’agit bien sûr pas pour l’Etat de s’immiscer dans la formation théologique, mais de généraliser des cursus qui existent, à l’instar du D.U. « Etat, sociétés et pluralité des religions » de l’Université de Strasbourg, et proposent des cours sur l’histoire et les valeurs républicaines, ainsi qu’une partie pédagogique sur la transmission de savoir et le rapport philosophique à l’autre. Une telle formation pourrait être rendue obligatoire pour les ministres du culte, suivant des modalités à définir. Les professeurs de matières religieuses qui interviennent dans les écoles confessionnelles doivent également être mieux sensibilisés à la laïcité et au respect de l’autre. Bien évidemment, une telle obligation ne peut prendre effet que dans le cadre de ces conventions que nous appelons de nos vœux entre les cultes de France et l’Etat.
La quatrième de ces interrogations concerne le rôle de l’Etat comme garant de la liberté de pratiquer, et donc de bénéficier de lieux de culte. La lecture stricte de la loi de 1905 conduit à ne financer aucun lieu de culte, au nom du principe de neutralité. Cette vision a surtout conduit à figer le paysage des lieux de culte malgré les évolutions religieuses. Dans une convention qui porte des exigences fortes en termes de laïcité, comment pourtant ne pas aborder la question de la possibilité de pratiquer dans des conditions décentes, et respectueuses de l’ordre public, sa religion ? Il faut sortir de l’hypocrisie actuelle, où l’on déplore des pratiques qui sont la conséquence directe de l’absence de lieux de culte établis. Cette difficulté ne concerne pas seulement les musulmans, mais aussi, par exemple, les évangélistes. Là encore, les principes que nous jugeons aujourd’hui intangibles ont été l’objet de bien des adaptations au cours du temps. Depuis 1905, différentes techniques juridiques et financières ont été mises en place pour faciliter la construction de lieux de culte dans les communes en développement, comme les baux emphytéotiques, les garanties d’emprunt, voire même des dispositions spécifiques faisait exception à la loi. Ce sont ces techniques qu’il faudrait aujourd’hui étendre pour mieux correspondre à la réalité religieuse de notre pays. Un certain nombre de propositions contenus dans le rapport Machelon de 2006 pourraient servir de base à cette facilité nouvelle accordée à la construction de lieux de culte, qui serait ainsi mieux encadrée dans son financement comme dans son affiliation à un culte représentatif ayant passé une convention avec l’Etat, et respectueux de ses lois.
La cinquième de ces interrogations concerne la tolérance entre les religions, et le respect de l’absence de croyance religieuse. Si l’Etat accepte les cultes, ceux-ci ne doivent pas seulement reconnaître que les lois de la République s’imposent, ils doivent aussi reconnaître l’existence des autres cultes, autant que celle de l’athéisme, et promouvoir la tolérance. Cela peut se traduire par plusieurs propositions concrètes de la part des cultes comme de l’Etat, qui pourrait favoriser l’enseignement du fait religieux dans les écoles publiques ou privées sous contrat. C’est cette méconnaissance mutuelle qui peut être source de crispations et de conflits.
Un tel pacte trouve son fondement dans la loi de 1905, et ne constitue en rien une entorse à la laïcité. Bien au contraire, elle renforce son application concrète pour tous sans qu’elle ne soit perçue comme une limitation à la pratique religieuse de certains. L’objectif du Club 89 avec ce colloque était de présenter des nouvelles libertés religieuses qui facilitent la réaffirmation des lois de la République. Nous estimons que celles-ci sont aujourd’hui pour la plupart très claires, mêmes si elles doivent parfois être précisées dans leur application concrète comme l’a proposé Jean-François Copé. Si ce cadre juridique existe, le faire respecter suppose non seulement de la contrainte, mais aussi de l’adhésion. Si nous ignorons la demande réelle d’expression de la religion dans le cadre privé, alors nous favoriserons des résurgences identitaires et religieuses, celles qui justement fragmentent la société et envahissent l’espace public. L’intégration ne peut que reposer sur un double respect : celui de la sphère privée pour chacun, celui d’un espace public pour tous. C’est cela la République partagée et apaisée que nous voulons.
Benoist APPARU, Président du Club 89, Secrétaire d'Etat chargé du Logement
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