La crypte des capucins, que l'on croyait fermée depuis ce jour où le jeune Trotta voulut se recueillir une dernière fois devant le tombeau de François-Joseph dans le roman homonyme de Joseph Roth, vient d'être réouverte pour accueillir la dépouille d'Otto de Habsbourg, fils du dernier empereur d'Autriche-Hongrie Charles. Quel raccourci historique saissisant pour qui veut méditer sur l'évolution de l'idée européenne au cours du siècle écoulé !
Descendant du Monde d'hier, Otto de Habsbourg a voulu oeuvrer tout au long de ces dernières décennies pour le monde de demain, une Europe forte dépassant ses antagonismes. Président du mouvement paneuropéen de 1973 à 2004, il fut l'organisateur du pique-nique géant de Sopron en 1989, auquel de nombreux Allemands de l'Est participèrent avant de passer la frontière austro-hongroise. Il fut également député du Parlement européen de 1979 à 1999, et un ardent défenseur du Français comme langue officielle de l'Europe. Cela n'en fait pas pour autant une figure tutélaire parfaite de l'idée européenne : d'un conservatisme assumé - voire acharné, proche des courants les plus traditionnalistes de l'Eglise, Otto de Habsbourg avait une conception parfois très étriquée et figée des valeurs européennes. Ma conception personnelle de l'idée européenne est bien plus ouverte : les valeurs de l'Europe doivent s'écrire sous le signe de la diversité et de l'ouverture, et nous devons renouer avec la tradition progressiste de la construction européenne.
L'idée européenne se trouve aujourd'hui dans une phase paradoxale du débat politique : alors même que l'actualité tourne autour des difficultés financières de certains pays de l'Union, du rôle de la monnaie unique, de l'engagement de solidarité des Etats, nous sommes dans une période de faiblesse terrible du débat et de la réflexion autour de l'Europe. Lorsque j'ai fait mes études, puis commencé à travailler auprès de Michel Barnier en 2004-2005, nous étions passionnés par l'idée européenne, ses avancées, l'Union s'élargissait de dix pays, et nous pensions que nous entrions dans une ère de construction nouvelle. Force est de reconnaître que nous en sommes loin : si le processus technocratique de normativité suit son cours, si les débats financiers font rage, si des moments politiques forts ont eu lieu, notamment lors de la présidence française de l'Union européenne, force est de reconnaître que nous ne sommes pas dans une période politique où l'engagement européen est un thème central.
Espérons que 2012 remettra de l'Europe dans notre débat national. Espérons que l'idéal paneuropéen, un idéal sûrement plus ouvert que celui que défendait Otto de Habsbourg, trouve dans les prochaines années de nouvelles raisons de prospérer.
Alors que se referme à nouveau la crypte des Capucins, mesurons le chemin parcouru depuis qu'en 1916 François-Joseph y fut inhumé. Il nous reste désormais à redonner du sens à la construction européenne, et à répondre à l'interrogation de François Ferdinand Trotta : "Où aller à présent?".
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