Je reproduis ici la tribune qui a été publiée dans Le Figaro le 29.11 (et le rectificatif publié le 30.11). Cette tribune a été coupée, entraînant une erreur de chiffres. A la place de « Les députés français de moins de 40 ans ….. de un à neuf entre 1981 et 2007 », il faut lire « En 1981, pour un député de moins de 40 ans, il y avait un député de plus de 60 ans. En 2007, pour un député de moins de 40 ans, il y en a …. neuf de plus de 60 ans ! ». Vous trouverez ci-après le texte intégral de la tribune.
Pour un équilibre politique entre générations
La proposition d’Arnaud Montebourg d’un âge limite de 67 ans pour les mandats politiques, pour contestable qu’elle soit, a eu au moins un mérite, celui de jeter un éclairage cru sur cette réalité : l’Assemblée nationale française est l’une des plus âgées d’Europe, et sa moyenne d’âge va bientôt converger avec celle du Sénat. Mais quel dommage que le débat qui s’en est suivi ait été aussi pauvre ! Luc Ferry contre Arnaud Montebourg, la querelle des Anciens et des Modernes : verdeur des génies (et nous savons bien que le monde politique n’est peuplé que de génies) contre gâtisme obligatoire à 67 ans. L’une et l’autre de ces positions prennent le problème des âges en politique par le petit bout de la lorgnette : soit celui de la situation individuelle (Ferry), soit celui de la généralisation hâtive (Montebourg). Reprenons ce sujet important dans l’ordre !
Le constat tout d’abord. Les députés français ne sont que 12 (soit 2 %) à avoir moins de 40 ans, comme le révèle le site de l'Assemblée nationale. "L’Assemblée nationale de 1981 comptait un député de moins de 40 ans pour un député de plus de soixante. En 2007, si nous comparons les mêmes groupes d’âges, pour un junior, nous comptons neuf seniors" écrivait en 2007 le sociologue Louis Chauvel dans La vie des idées. Les causes en sont multiples bien sûr, le vieillissement de la population évident, la durée de plus en plus longue des études, l’âge souvent plus élevé des élus en démocratie représentative. Mais il n'en demeure pas moins que 18 % de la population de plus de 18 ans a entre 30 et 40 ans, et qu'il n'y a que 2 % de députés de cet âge. Et surtout, il s’agit là d’une spécificité française ! La surreprésentation des 50-70 ans est forte dans tous les pays, mais le phénomène est bien plus marqué en France qu'en Italie, au Royaume-Uni, en Suède ou encore en Allemagne. Notre pays se distingue surtout par une présence extrêmement faible des moins de 40 ans à l’Assemblée nationale. Il y a ainsi deux représentants de moins de 40 ans pour un de plus de 60 ans en Suède, un représentant de moins de 40 ans pour un de plus de 60 ans en Allemagne, 1 de moins de 40 ans pour 3 de plus de 60 ans en Italie et au Royaume-Uni et ….un de moins de 40 ans pour neuf de plus de 60 ans en France ! C’est cette absence
C’est vrai, c’est aussi la faute des jeunes, puisque si l’âge moyen du corps électoral est de 47 ans, celui des votants est de 55 ans. Mais encore faut-ils e poser la question de l’œuf et de la poule. En Suède, il semble naturel aux grands partis suédois de présenter aux élections législatives des candidats de 20 ans. Et ile semble naturel aux électeurs de voter pour eux ! Le plus jeune député suédois, Anton Abele, a 18 ans. Cela vous semble possible en France ? Le système politique serait-il bloqué ? Ou alors toute notre vision sociale des âges serait-elle en jeu ? Car après tout, beaucoup de personnes, y compris jeunes, pensent qu'on ne peut pas faire un bon politique à 20 ans.
Alors oui, on peut faire du jeunisme comme Arnaud Montebourg, on peut aussi comme Luc Ferry dans sa récente tribune parler des chefs d’œuvre que Picasso a produit après 67 ans – argument puissant d’autorité s’il en est. On peut réécrire Bourdieu, et son fameux « la jeunesse n’est qu’un mot ». Et puis, on peut se poser de manière sérieuse la question des conséquences de ce déséquilibre générationnel.
Car il s’agit bien d’un questionnement plus global sur la représentation en démocratie et sur la place des générations dans notre pacte social. On constate depuis plusieurs années que la solidarité intergénérationnelle, ce principe qui fonde notre protection sociale, voit son équilibre déplacé vers les strates les plus âgées de la population. La réforme des retraites a eu lieu, mais la soutenabilité de long terme de notre modèle n’est toujours pas assurée. Les dépenses de santé explosent, et concernent souvent le grand âge, tandis que l’on parle d’augmenter le poids de la solidarité nationale dans la prise en charge de la dépendance. Que les choses soient claires, il faut s’occuper impérativement de ces problématiques, j’en sais quelque chose pour avoir travaillé plusieurs années à la meilleure prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Mais il faut le faire en s’interrogeant sur l’équilibre pour les citoyens d’un système de protection sociale qui dépense toujours plus, en se demandant s’il est normal que le niveau de vie des retraités soit désormais supérieur à celui des actifs, et en se demandant si la charge que l’on fait peser sur les jeunes générations – et le coût de leur travail – n’est pas trop importante ! Autant de questions qu’une assemblée qui n’est pas à majorité composée de bénéficiaires de ces mesures aurait peut-être abordées différemment ! Autre exemple, si les jeunes étaient davantage représentés, n’y aurait-il pas plus de parlementaires libéraux sur les questions de société ? Sur un dernier sujet, celui de l’orientation de l’économie vers les nouveaux relais de croissance, Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique, écrivait récemment : « Âge moyen des députés français : 59 ans. En Suède ? 41 ans. PIB issu du numérique en France : 3,6 %. En Suède, ça serait proche de 8%. ». Ce type de liens est bien sûr trop mécanique, mais s’il n’y a pas d’âge pour s’intéresser au numérique, comment nier qu’il y ait un effet de génération ? Alors, attaquons nous sérieusement à cette question de la représentation des générations !
La mixité des âges, comme la parité et la mixité sociale, sont certainement une des clefs de réussite éprouvée dans les conseils municipaux, car elle permet de mieux comprendre toutes les façons de vivre une ville et elle permet un échange de points de vue. Je suis élu dans une municipalité où tous les âges sont représentés, et où tous les âges ont des responsabilités, ce qui mérite d’être souligné. Et cela se passe très bien, car il y a un véritable enrichissement mutuel, une transmission des savoirs et des compétences.
C'est cela qu'il faut aussi promouvoir à l'échelle nationale. Il n'est pas question d'imposer un âge maximum (comme le voudrait Arnaud Montebourg), mais bien d'engager une réflexion globale sur l’équilibre des générations et de promouvoir un changement d'état d'esprit. Celui-ci passera-t-il par des mesures contraignantes, comme un bonus-malus financier sur l’équilibre générationnel pour les partis, la limitation du cumul des mandats dans la durée, ou par une simple évolution des consciences. Les prochaines échéances électorales nous le diront. Mais cessons de réduire cette question à l’âge des individus, pour entrer dans une vision plus large sur l’équilibre entre les générations dans notre pacte politique et social. « La jeunesse est un défaut, écrivait Thomas Bernhard, mais le défaut de l'âge, c'est de voir les défauts de la jeunesse. » Dépassons cette opposition !
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