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Robert Castel est certainement l'un des sociologues dont l'analyse m'a le plus marqué, et dont je recommande sans cesse la lecture pour ses analyses à la fois précises, argumentées et lumineuses sur les transformations de la société. Des Métamorphoses de la question sociale à La montée des incertitudes c'est toute la question du rapport entre évolution du salariat et "désaffiliation sociale" (ou "désiccation du lien social") qui est traitée. Pour Castel, c’est dans la fragilisation du travail salarié, auquel est attaché tout un système de garanties, de protections et de statuts établis durant plus d’un siècle, que l’on trouve les causes actuelles de l’exclusion : « Exclusion ou désaffiliation sont l’effet d’un ébranlement général dont les causes se trouvent dans le travail et son mode d’organisation actuel. » Des analyses passionnantes, à lire et à relire, et à méditer pour l'action politique, à débattre aussi, mais toujours stimulantes.
Voici quelques extraits d'une interview de Robert Castel menée en 2009 par Jean-Marie Durand pour Les Inrocks.
Votre nouveau livre, La Montée des incertitudes, approfondit votre travail entamé en 1995 dans Les Métamorphoses de la question sociale. Avez-vous l’impression d’achever votre réflexion dans ce domaine ?
Non, c’est un processus inachevé. J’ai voulu, quinze ans après Les Métamorphoses…, mesurer l’évolution des transformations dans l’organisation du travail, des protections sociales et du statut de l’individu depuis les années 70. Car ces transformations remettent en cause le statut de l’individu moderne, ou en tout cas nombre de ces individus que j’appelle des “individus par défaut”, auxquels font défaut les conditions de base pour se réaliser avec un minimum d’indépendance sociale. La dégradation de ce statut de l’individu me paraît profondément liée à cet effritement de la condition salariale, avec sa stabilité, ses droits, ses protections.
[...]
La dérégulation du travail est, selon vous, à la base de cette transformation.
C’est l’épicentre. A la subordination salariale ont longtemps été associés des protections et des droits forts. Aujourd’hui, on observe l’effritement de ces systèmes de sécurisation du travail sous la poussée de la logique du nouveau capitalisme : une logique de “décollectivisation”. On est dans le temps des fragmentations. Les travailleurs sont appelés à se responsabiliser, à prendre des initiatives, dans une situation de concurrence du tous contre tous. La dégradation du statut de l’emploi donne lieu à la progression de formes d’activité en deçà de l’emploi, qui sont mal protégées, mal payées et qui institutionnalisent le “précariat”. Il y avait une vieille expression populaire au XIXe siècle : “Vivre au jour la journée”. C’était le fait de la majorité des travailleurs à l’époque. A nouveau, un grand nombre de gens vivent au jour la journée, ne savent pas de quoi demain sera fait. C’est une remontée de l’insécurité sociale.
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Voici le texte de l'article "Le souterrain, lieu ambigu de la littérature" que j'ai écrit pour le n°59 de "La Pierre d'Angle", revue de l'Association nationale des Architectes des Bâtiments de France. Je remercie son président, Frédéric Auclair, pour sa confiance - et le bonheur que m'a procuré l'écriture sur ce thème dans cette très belle revue. J'en profite pour rappeler à tous l'importance de ce corps, qui, loin d'une image réductrice de conservateurs pinailleurs, joue au contraire un rôle essentiel dans l'évolution de la prise en compte de notre patrimoine, y compris moderne, dans l'évolution architecturale, et dont les membres sont des conseils précieux tant pour les propriétaires privés que pour les édiles. Leur rôle doit être défendu !
Le souterrain, cet univers qui, à l’inverse des terres visitées dans le Voyage au centre de la terre de Jules Verne, est habité, voire architecturé, occupe une position ambivalente dans la littérature. Monde imaginaire aux caractéristiques réelles, monde réel aux personnages surnaturels, lieu répulsif, concentré des faiblesses et des vices du monde d’en haut, ou peuplé d’êtres étranges et inquiétants, ou au contraire lieu préservé, qui par contraste avec sa dimension souterraine, recèle plus de pureté véritable que la corruption de l’air libre, l’univers souterrain est plurivoque. Parfois prolongation de notre monde et de notre société, il peut également prendre la figure de l’utopie, de l’ailleurs, un ailleurs qui, bien souvent, nous parle davantage de nous-mêmes que les figures réalistes que sont les égouts et les catacombes. Au-delà du lieu, c’est l’accès, la sortie ou l’entrée dans cet univers, qui donne sens à l’œuvre : révolte des profondeurs, course à l’abîme, descente aux enfers ou résurrections, ce sont Montecristo sortant du cachot du château d’If ou Orphée descendant aux Enfers les héros du monde souterrain. Miroir de notre monde, le souterrain est également le miroir de l’âme de l’écrivain : dans les Carnets du sous-sol de Dostoïevski, l’enfermement volontaire du narrateur reflète sa nature atrabilaire et son dégoût du monde d’en haut.
C’est peut-être l’auteur norvégien Kjartan Fløgstad, dans son livre Pyramiden, qui a su le mieux décrire cette multiplicité des signifiants du monde souterrain : « Mais l’intérieur de la terre, et notre propre univers intérieur, ne recèle pas seulement le magma, fluide vivant, il ne recèle pas seulement le feu infernal, des mines et des tombes, des planètes peuplées d’humains miniatures, de sentiments profonds, et d’un chagrin sans fond. Chez Ludvig Holberg, l’ouverture sur l’intérieur du globe terrestre mène aussi à l’Etat utopique Potu. Nos ancêtres avaient peur d’être bergtekne, faits prisonniers de la montagne. Montagne sous la surface de laquelle se trouvaient enchantement et abandon. Dans la littérature, notre univers intérieur, comme le souterrain, est un lieu ambigu. »
Une des premières formes de représentation du souterrain dans la littérature est celle de l’utopie, ce lieu qui n’existe pas, mais qui peut se révéler un ailleurs radicalement différent, ou le parfait miroir du monde d’en haut. Mais même l’ailleurs nous parle de nous ; le monde souterrain de Niels Klim, que nous fait découvrir Ludvig Holberg, a beau compter des pays peuplés d’arbres vivants, ceux-ci évoquent notre société et ses travers, et cet ouvrage conserve toute sa modernité. De la même façon, les villes-miroirs souterraines peuvent être un univers de pure fantaisie, comme le Londres d’en bas de l’auteur de science-fiction anglais Neil Gaiman, ou bien alors refléter les caractéristiques exacerbées de notre réalité : chez les auteurs belges de bande dessinée Schuitten et Peeters, le Brüsel d’en bas nous parle du Bruxelles d’en haut, de son urbanisme et son architecture ; leurs Cités obscures ont toutes les caractéristiques de nos rapports sociaux, techniques, urbains.
Le film Metropolis de Fritz Lang présente un univers qui se situe à l’interface de ce monde d’ailleurs et d’un réalisme qui fait du souterrain une strate organisée de notre société. La cité souterraine qui abrite les ouvriers est bien sûr une métaphore claire de la hiérarchie sociale. Mais cette cité repose elle-même sur un souterrain, celui de catacombes primitives d’où émerge la révolte qui balaie cet ordre social. La pureté réside parfois plus dans le souterrain que dans les jardins d’Eden merveilleux des immeubles qui tutoient le ciel. Il s’agit bien sûr d’une approche métaphorique, mais est-elle si éloignée de la réalité de certains de nos quartiers, voire de nos immeubles, si bien organisés pour créer la distinction sociale ?
La littérature populaire du XIXe siècle a beaucoup investigué le Paris souterrain, naviguant entre une veine réaliste et une veine fantastique. Le souterrain devient un objet à part entière de la ville, qui n’en recèle pas moins un univers méconnu. Cette matérialité nouvelle du souterrain n’empêche en effet pas le fantastique, ou bien encore l’extension à l’infini de cet univers connu. Ainsi la réserve d’eau sous l’opéra Garnier devient un lac immense sous la plume de Gaston Leroux dans Le Fantôme de l’Opéra, mais le fantastique est rattrapé par la réalité : l’intérieur que le fantôme s’est aménagé correspond aux canons du goût bourgeois. Le monde souterrain est désormais connecté à la ville : réceptacle des bas-fonds, mais aussi de la différence, c’est un univers qui échange avec la société, comme dans les Salons et souterrains de Joseph Méry. L’immeuble haussmannien se poursuit en sous-sol. Il serait cependant là encore fallacieux d’y voir une vision univoque. Comme l’écrit Victor Hugo dans Les Misérables, « Les sociétés humaines ont toutes ce qu’on appelle dans les théâtres un troisième dessous. Le sol social est partout miné, tantôt pour le bien, tantôt pour le mal. […] Il y a un haut et un bas dans cet obscur sous-sol qui s’effondre parfois sous la civilisation, et que notre indifférence et notre insouciance foulent aux pieds. […] Toute lave commence par être nuit. Les catacombes, où s’est dite la première messe, n’étaient pas seulement la cave de Rome, elles étaient le souterrain du monde. » Toujours le souterrain porte en lui cet espoir d’une lumière nouvelle, et d’un retournement de nos valeurs.
Les mondes souterrains sont aujourd’hui mieux explorés, certes, mais ils n’ont pas finis de fasciner, et sont toujours un point de départ de l’imaginaire de l’écrivain. L’élu de Courbevoie-La Défense que je suis se souvient ainsi du roman de René-Victor Pilhes, L’imprécateur, dans lequel la tour qui abrite une grande multinationale se fissure par le sous-sol, comme une manifestation physique des failles d’un certain capitalisme. Le souterrain demeure bien le révélateur des préoccupations de notre société. Tout comme il porte l’espoir d’un retournement, à l’image du renversement baroque qui voit Niels Klim tomber de la terre dans un nouveau ciel.
Rédigé à 10:53 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2)
Ce week end, la ville de Courbevoie met les livres, la lecture et les jeux littéraires à l’honneur. A l’occasion du Festival des Mots Libres, venez partager un moment convivial et culturel en famille.
De nombreuses activités sont organisées, pour les petits et les grands, au Parc des Pléiades, à Courbevoie. Vous pourrez assister à des spectacles, des ateliers d’écritures et de calligraphies, des séances de dédicaces, des concerts et bien d’autres choses encore.
L’entrée du festival est gratuite. Mais attention, l’accès à certains ateliers et spectacles se fait sur réservation, dans la limite des places disponibles. Vous pouvez effectuer vos réservations en ligne : http://festivaldesmotslibres.fr/billetterie/, à la billetterie de la bibliothèque principale (41 rue de Colombes) ou par téléphone au 01 71 05 73 44.
Pour tout savoir sur le Festival des Mots Libres: http://festivaldesmotslibres.fr/
Rédigé à 19:20 dans Actualité, Courbevoie, Jeux, Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Citoyens des villes, citoyens des champs, Pour une égalité des territoires, l'essai que nous avons écrit avec Alexandre Brugère et Elise Vouvet, est sorti le 2 mai et commence à faire parler de lui.
Après LCI dès le dimanche 29 avril (http://youtu.be/nsj_w5VIY-4), c'est Direct Matin qui l'a évoqué le vendredi 4 mai, et la Lettre du Pouvoir ce lundi 7 mai.
Parallèlement, nous continuons nos dédicaces. Après La bouteille à l'encre à Courbevoie le 2 mai avec Alexandre Brugère, nous serons samedi 12 mai à Angoulême, chez Elise Vouvet, candidate aux législatives en Charente, pour une conférence avec Jean-Pierre Raffarin et une séance de signatures. Prochaines étapes prévues : Paris, Asnières, Dijon, et d'autres nous espérons !
Rédigé à 17:19 dans Actualité, Livres, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
L'essai "Citoyens des villes, citoyens des champs", que nous avons écrit avec Alexandre Brugère et Elise Vouvet, sort en librairie le 2 mai. LCI en a parlé ce week-end (http://youtu.be/nsj_w5VIY-4), le classant parmi les trois ouvrages , avec notamment Fractures françaises de Christophe Guilluy, qui avaient vu que la fracture territoriale était un thème politique majeur, passé sous silence dans cette campagne électorale, alors qu'elle se manifeste dans les urnes. Au-delà du constat, ce livre veut apporter une nouvelle méthode politique, une vision de l'égalité réelle des citoyens sur les territoires, et des propositions concrètes.
Venez en discuter avec nous le 2 mai à partir de 17 h 30 à la Libraire La bouteille à l'encre rue de Colombes à Courbevoie, où nous serons présents avec Alexandre pour une séance de dédicace !
Rédigé à 19:49 dans Coup de coeur , Livres, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
Le mercredi 2 mai sortira dans toutes les bonnes librairies « Citoyens des villes, citoyens des champs – Pour une égalité des territoires », co-écrit par Elise Vouvet, Alexandre Brugère et moi-même et édité chez Fayard. Ce livre traite de l'une de ces fractures françaises dont on prend conscience dans les urnes, mais que l'on oublie de traiter entretemps, la fracture territoriale. Il propose une nouvelle méthode politique pour la traiter, une vision de l'égalité réelle plus proches des attentes de nos concitoyens, ainsi que de nombreuses propositions concrètes.
La sortie sera accompagnée d’une dédicace, le mercredi 2 mai toujours, de 17h 30 à 20h, à la librairie la bouteille à l’encre, 18 rue de Colombes à Courbevoie, où, avec Alexandre, nous pourrons répondre à toutes vos questions !
Toutes les infos sur : http://labouteille.alencre.fr/html/dedicace_jean_spiri.html
Et le texte de la 4e de couverture :
« La France est une République indivisible […] qui assure une égalité devant la loi à tous ses citoyens. » Le principe, simple et louable, commande l’organisation de la République française. Mais si la loi est effectivement la même pour tous, sommes-nous vraiment traités de la même façon que nous vivions en ville, en banlieue ou à la campagne ?
La question de l’inégalité entre les territoires est abordée ici sans tabou, avec des propositions fortes, parfois provocatrices mais toujours issues d’expériences de terrain. Les auteurs partagent une même vision loin des clichés : la France des villes ne se réduit pas à Neuilly ou à La Courneuve, la France des campagnes au « 13h » de Jean-Pierre Pernaut.
Développement économique, emploi, pouvoir d’achat, santé, éducation, transports, accès à la culture, jeunesse, vieillissement, citoyenneté… Tous ces thèmes, envisagés sous l’angle de l’inégalité sociale, prennent un nouveau relief si l’on se place dans la peau du citoyen des villes ou des champs.
La conclusion est sans appel : plutôt que de s’attaquer aux inégalités entre zones rurales et urbaines à coup d’autoroutes et de lignes TGV, il est nécessaire et urgent de mettre en place une véritable « discrimination positive territoriale ». Voici des éléments concrets pour faire avancer le débat et des solutions pour assurer enfin une égalité réelle à tous les citoyens au sein d’une « société des territoires » plus innovante, plus compétitive et plus juste.
Rédigé à 10:40 dans Actualité, Coup de coeur , Courbevoie, Livres, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
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