Repousser les limites de la bêtise en matière d'analogie historique déplacée, tel est le défi que se sont lancés ce mois-ci gauche et droite confondues. Dans la mesure où je suis le premier à trépigner quand j'entends des comparaisons absurdes et dangereuses de la gauche entre sarkozysme et vichysme, il me semblait normal de réagir aux propos que Benjamin Lancar a tenu sur son blog, pour en faire la juste critique.
Il ne s'agit pas de hurler avec les loups sur Benjamin Lancar, qui, par ailleurs, fait son boulot de soutien de la majorité, mais d'avoir l'honnêteté de dire qu'il a fait une erreur. Il l'a lui-même reconnue, tout en maintenant que son propos était clair. J'aurais préféré qu'il retirât son article. Car si je suis d'accord avec lui pour dire qu'à aucun moment il n'encense Pierre Laval (sans compter bien sur que le traiter de raciste ou de thuriféraire de Vichy est une absurdité sans nom), la rédaction de son article est suffisamment maladroite pour créer des confusions. Et il y a tant à dire pour élever le débat politique sans entrer dans des parallèles maladroits et fâcheux avec les heures sombres de notre Histoire...
Il faut citer le passage incriminé en entier : "La jeunesse de 2010 s’engage, comme la jeunesse de 1940. [...] En 1940, alors qu’une partie de la jeunesse et de la classe politique, autrefois courageuse – redressement économique de la France par Pierre Laval en 1932 – s’est fourvoyée et a trahi les fondements de la République, une autre France s’est révoltée. Cette France, c’est la France de Guy Môquet. [...] Aujourd’hui, la France des années 2010 a besoin de courage."
Tous les ingrédients de l'analogie historique à la mode 2010 sont présents : récupération dans tous les sens des figures nationales (Guy Môquet), allusions répétées à la Résistance et à Vichy (nous/eux),... Le propos de Benjamin Lancar est limpide : les résistants d'aujourd'hui ne sont pas, comme ils l'ont répété depuis des mois, les anti-sarkozystes, mais les sarkozystes, qui ont le courage du refus de la fatalité (en vague résumé). Jusque là, pourquoi pas, même s'il est disproportionné de faire ce type d'analogies - que l'UMP a d'ailleurs à juste titre critiqué venant de l'opposition. Pire encore, ces constantes références tendent à montrer que le courage politique est visiblement une denrée qui a disparu depuis 1940. Mais là où le bât blesse, c'est l'exemple que prend Benjamin Lancar d'homme politique courageux et respecté qui s'est fourvoyé, avec Laval. Choix discutable pour l'historien (sur le courageux et respecté, pas sur le fourvoyé). Choix interdit pour le politique ; associer les mots de courage et de Laval, c'est impossible. D'abord, on comprend mal ce que vient faire cette idée, sinon accréditer l'idée que la jeunesse qui manifeste dans la rue a raison contre le pouvoir - ce qu'elle souhaite elle-même démontrer par la même analogie. Donc assez contre-productif. Mais surtout, surtout, parmi les noms qu'il ne faut pas employer à tort et à travers, Laval arrive n°1 au palmarès (tout comme le norvégien Quisling dont le nom est passé dans son pays dans le vocabulaire courant pour désigner un traître). Il y a de vrais tabous, ce qui est sain, avec lesquels ne pas jouer. Car, au-delà de la légèreté de l'analyse (pourquoi diable aller chercher ce soi-disant redressement économique, qui fait débat, pour aborder Laval), cela rappelle quand même furieusement ceux qui expliquent que les régimes totalitaires ont rencontré des succès économiques ou faisaient arriver les trains à l'heure. Je sais bien que ce n'était pas l'intention de Benjamin Lancar ; mais c'est pourquoi il faut se méfier des analogies !
Si pour l'historien, il est intéressant de comprendre pourquoi des hommes politiques se sont fourvoyés - ou d'ailleurs se sont rattrapés, cf. les excellents livres de l'historien Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l'occupation et Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance -, pour le responsable politique, il vaut mieux éviter ce genre d'analogies historiques dangereuses qui pullulent depuis des mois ! Quand on lit le billet incriminé, on comprend péniblement ce que l'auteur veut dire. Quel besoin d'un tel gloubiboulga historique, pour exprimer des convictions simples ! Je préfère quand notre mouvement se réfère au présent, et surtout à l'avenir.
Alors même qu'un maire du Calvados vient d'être condamné à décrocher le portrait de Pétain qui ornait sa mairie, parce que justement on ne peut pas séparer le vainqueur de Verdun du Chef d'Etat collaborateur, alors même qu'un projet de statut des Juifs annoté de la main de Pétain vient d'être retrouvé, démontrant que, loin d'être le bouclier quand De Gaulle était le glaive, le vieux maréchal était bien le chef lucide d'un Etat raciste, on n'a pas le droit de faire preuve de cette légèreté. La Seconde guerre mondiale est vraiment "un passé qui ne passe pas" pour reprendre la formule de l'historien Henry Rousso. Alors cessons d'en faire un argument politique contemporain !
Certains vont penser à la lecture de ce billet qu'il est scandaleux d'attaquer son propre camp politique. Je voudrais dire plusieurs choses à ces lecteurs. La première, c'est que l'on ne peut exiger, globalement, la solidarité avec l'action du Gouvernement que si l'on laisse des espaces de critique. Sinon, c'est comme cela que l'on fabrique des opposants définitifs, là où il n'y avaient que des critiques sur certains points. Ensuite, il y a des sujets sur lesquels on ne peut critiquer l'opposition que si l'on est soi-même irréprochable. J'ajouterais que l'honnêteté intellectuelle est pour moi une vertu cardinale de l'engagement politique. Enfin, il faut savoir séparer l'homme d'une maladresse écrite. Que Benjamin Lancar soit un type bien, qu'il soit un bon président des Jeunes Populaires, que je puisse voter pour lui ou non aux élections internes, n'a rien à voir avec cette question précise : ce billet témoigne d'une escalade dans l'analogie historique de plus en plus gênante, de plus en plus dangereuse, à laquelle les politiques, dans leur ensemble, devraient mettre un terme.
Je partage entièrement ton analyse.
Nous sommes trop prompt à condamner vigoureusement la gauche lorsqu'elle compare l'action du gouvernement aux rafles, à vichy ou au nazisme, pour ne pas nous indigner quand l'un des notre invoque, pour appuyer son propos, l'un des acteurs de cette période.
Comme tu le dis, il ne s'agit pas de taper sur notre camp ou de hurler avec les loups mais d'appeler nos amis à la prudence et à une plus grande sagesse.
Cette comparaison entre la jeunesse résistante de 1940 et la jeunesse de 2010 qu'elle soit de droite ou de gauche, est mal venue et prétentieuse. Nous ne pouvons décemment nous comparer à ces héros, nous n'avons pas une once de leur mérite.
Pierre Laval ne fait pas parti du Panthéon des hommes politiques et il n'y a pas de raison de vouloir l'y faire entrer.
Les intentions de Benjamin sont bonnes (valoriser l'engagement politique des jeunes) mais son article est mauvais. Je pense qu'il aurait fait preuve de plus de grandeur en reconnaissant son erreur, en s'excusant et en retirant cet article.
Rédigé par : David | 28/10/2010 à 16:36