Certes, il faut être un peu atteint pour s'emparer d'un tel sujet par un dimanche pluvieux. Ce n'est d'ailleurs pas le jour idoine pour aller admirer le magnifique bâtiment du Conseil économique et social, le béton des frères Perret, comme le savent les Havrais, n'étant pas toujours à son avantage par ce temps. Mais j'avais envie de pousser un - résigné et désabusé - coup de gueule au sujet de ce qui est la troisième assemblée mise en place par la Constitution de la Ve République.
La légende du Conseil, une belle planque somnolente de la République, n'est pas totalement usurpée : François Mitterrand y a nommé Yvette Horner, Caligula aurait pu y nommer son cheval sans choquer grand monde, et les récentes nominations effectuées par l'exécutif n'ont pas plus qu'à l'habitude ébloui les foules par leur pertinence (à des exceptions notables, comme toujours). Mais cette réputation est aussi totalement injuste. D'abord, parce que les membres comme les membres de section travaillent réellement, auditionnent, et produisent de bons rapports. Ensuite, parce que les deux tiers des membres sont nommés par les organisations professionnelles. C'est donc une assemblée unique, qui pourrait jouer un rôle majeur d'élaboration du consensus dans notre démocratie sociale. Enfin, le CESE permet la représentation au niveau national des organisations professionnelles et la communication entre les différents acteurs de l'économie. Mais est-ce suffisant ? A-t-on entendu le CESE lors de la réforme des retraites ? Si ce n'est pas à cette occasion, on voit mal quand cette assemblée pourrait peser sur les débats...
Malgré des innovations issues de la réforme constitutionnelle de 2008 - la saisine parlementaire et la saisine populaire (sans oublier l'ajout d'environnemental...) -, le rôle du CESE demeure purement consultatif. Et comme il faut avouer que l'on ne donne pas grand retentissement à ces "conseils", comme il faut bien avouer que cette assemblée n'est pas toujours d'une grande réactivité ..... Résultat, son influence demeure proche de zéro, malgré la qualité de ses travaux et des débats qui s'y tiennent. Il faut dire que les enjeux et perspectives de la filière équine en France sont sûrement un bon thème de fond mais qu'en plein débat sur les retraites, c'est un peu décalé. Quand on regarde les travaux publiés ces derniers mois, les sujets intéressants traités ne manquent pas : l'industrie de l'image, l'évaluation de la mise en œuvre du droit au logement opposable, la santé des femmes, etc. La question est juste : pourquoi faire ? quelles conséquences à ces rapports ? quelles inflexions des politiques publiques ?
Il faut redonner un poids réel au Conseil économique, social et environnemental. Plus que les textes, c'est la pratique qui doit évoluer. Pratique de nomination, certes, même si cela est totalement marginal. Pratique interne au CESE, avec une autre conception de la présence dans le débat public, avec une grande réactivité qui doit être le contrepoint des nouveaux droits de saisine. Pratique externe, bien évidemment, avec une grande attention aux avis donnés par le CESE, avec un respect des débats qui s'y tiennent et des consensus qui s'y forment. C'est aussi une chambre de prévention des conflits sociaux, des fêlures de notre société, des fractures sociales, une chambre qui doit aider à réaliser cette "ingénierie sociale de détail" qui est pour Karl Popper le mode de gouvernement de nos démocraties.
C'est toute la place que nous donnons aux corps intermédiaires dans notre pays qui doit changer. Il existe certes une faiblesse structurelle de nos organisations professionnelles, des habitudes d'affrontement théâtralisé bien lien de la pratique du dialogue et du consensus présente dans d'autres pays européens, l'émergence d'une société civile et de modes d'expression qui viennent supplanter les corps intermédiaires traditionnels sans pour autant les remplacer, et surtout en n'étant ni plus représentatifs ni plus démocratiques, bien au contraire. Mais il ne faudrait pas en déduire que les corps intermédiaires, certes fragilisés, n'ont plus de rôle à jouer dans notre société. Au contraire, il faut entrer dans un processus de revalorisation, qui a commencé en 2008 avec la réforme de la représentativité des syndicats. Il faut revenir à ce qui fait le lien dans notre société, c'est-à-dire à des espaces de dialogue entre le social, l’économique et le politique, qui passe par des corps intermédiaires forts. Ce n'est pas seulement une question d'amélioration du bien-être matériel ou même social ; c'est aussi une question d'unité et de cohérence de la société, des mots rabâchés à longueur de journée, mais auxquels on a du mal à donner des traductions concrètes. C'est une partie du gaullisme social, avec la participation, que l'on tente régulièrement de ressusciter. Mais à grande échelle. Et dans ce cadre, il faut que le CESE redevienne ce qu'elle a toujours été sur le plan constitutionnel : une des trois assemblées de notre pays. Il faut lui donner du pouvoir, il faudrait presque sur des textes législatifs précis, lui donner un pouvoir de co-élaboration. Alors peut-être sortirions-nous des oppositions stériles que nous avons encore connu récemment. Peut-être serait-il possible de redonner du sens au diagnostic partagé, donc à la possibilité de réforme. Car nous ne y trompons pas, la réforme des retraites qu'on nous a présentée comme un grand moment d'affrontement idéologique, ce n'est que de la réforme technique d'ajustement ! Je sais qu'avec l'image actuelle du CESE, une telle idée peut sembler pour le moins décalée. Mais rêvons un peu, et imaginons une démocratie sociale plus mature.
Cela ne veut pas dire une démocratie sans choix différenciés - c'est la mort de la démocratie -, mais une démocratie qui sait faire la différence entre des choix forts, des options clairement opposées et ce qui relève du fonctionnement quotidien de notre système socio-économique de protection sociale et de croissance !
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