L'ADN d'une entreprise, l'ADN d'un parti politique, l'ADN d'une association, l'ADN d'une chaîne de télévision : aujourd'hui, plus de 50 ans après son identification, l'ADN est mis à toutes les sauces, et devient le nouveau mot à la mode des communicants ! Votre structure a un problème ? Pas de souci, il suffit de revenir à son ADN, de mieux exprimer son ADN. Nous sommes passés d'un époque qui mettait en avant la marque à une époque qui met en avant l'ADN de la marque !
Non seulement ce tic de langage est exaspérant, comme toute formule prêt-à-penser, mais il traduit bien une vision du monde. Dans cette vision, l'essence précède l'existence, et nous sommes prisonniers d'identités (puisque ADN est utilisé comme synonyme d'identité) invariantes, qu'il s'agit de retrouver, et non de construire. Une prédestination dont il faudrait percer le mystère pour réussir.
Il est étonnant qu'à l'heure où il est de bon ton d'évoquer des identités complexes et multiples, la construction de l'identité, et le danger des identités figées (cf. le débat sur l'identité nationale), le mainstream commercial-communiquant nous rebatte les oreilles avec un concept extrêmement figé d'identité.
L'essor de la génétique nous pose des questions extrêmement complexes sur l'inné et l'acquis, des questions qu'il serait bien maladroit de vouloir trancher. Et ce n'est d'ailleurs pas le plus important : l'essentiel, c'est la lecture sociale et politique que nous en donnons. Par exemple, l'égalité entre les hommes n'est pas issue de l'état de nature, mais bien d'une vision philosophique, d'un système juridique et d'un contrat social. Toute la question est justement de savoir si nous confortons cette vision ou si nous choisissons l'analyse biologique - et les exemples ne manquent pas dans l'histoire des dangers extrêmes induits par une telle analyse. D'ores et déjà, aux Etats-Unis, certaines assurances santé étudient les prédispositions génétiques aux maladies graves de leurs assurés pour établir leurs polices. L'ADN gouvernera-t-il un jour nos rapports sociaux ? notre conception du libre arbitre ? En attendant, faisons au moins en sorte qu'il ne gouverne plus notre vocabulaire !
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