Aujourd'hui, tous les experts et hommes politiques français débattent d'un situation qu'ils n'ont pas vue venir. C'est tout d'abord au peuple tunisien qu'il faut laisser la parole ! C'est pourquoi je confie à votre lecture bienveillante cette lettre que m'a transmise une amie qui l'a reçue d'une de ses amies tunisiennes. L'information joue un rôle capital dans la situation actuelle, et les jeunes Tunisiens ont besoin de notre appui pour aller jusqu'au bout de leur révolution. J'espère que ce message vous touchera et vous éclairera.
"Le jour où ils ont pris en otage ma révolution
Je suis née en Tunisie, à Tunis. J’y ai aussi grandi, mais pas uniquement là-bas. J’ai la chance d’avoir connu les Sidi Bou Zid, les Gafsa, les Béja, les Gabes, les Kef, leurs hommes dans les cafés à défaut de travail, et leurs femmes surexploitées et sous payées dans les usines parce qu’elles doivent nourrir leurs enfants, et tous les autres endroit oubliés de tous, qui pourtant nous ont nourris, construit nos maisons, travaillé dans nos hôtels, travaillé dans nos mines et mis de l’argent dans les caisses de notre Etat, et leur vie digne d’un Zola. J’ai aussi connu les Hammamet, Sousse, Carthage, la Marsa ; leurs boîtes de nuit, leurs hôtels, leurs cafés et leurs grosses voitures, grandes maisons, les yachts et les trains de vie dignes de MTV.
J’ai aussi vu la révolution du peuple tunisien, celle qui a recoloré le drapeau de mon pays de rouge après qu’il ait viré au mauve, qui a couté la vie à des enseignants, des étudiants, des vendeurs de légumes, et à beaucoup trop d’autres. J’ai vu des hommes armés de gourdins pour faire face à des snipers. J’ai aussi vu, et je dois saluer ceux qu’on a oubliés, ceux qui ont fait que l’eau, l’électricité et les téléphones n’ont à aucun moment été coupés.
Cette révolution, jamais personne ne l’attendait, tellement nous avions pris l’habitude d’accepter que nos dirigeants piétinent nos droits, tellement « Allah Ghaleb, c’est un proche (du pouvoir) » est devenu notre excuse lorsqu’on reçoit l’ordre de donner les biens et l’argent de l’Etat à certains individus, ou lorsqu’on voit de ses propres yeux des personnes intègres se faire malmener par des bourreaux.
Et puis, j’ai vu le jour où on l’a appelée la révolution du Jasmin. Ce jour là, j’ai vu de mes yeux la prise en otage d’une révolution populaire.
Pourquoi ? Parce que ça sonne à s’y méprendre aux slogans qu’on nous a toujours servis, depuis aussi longtemps que je me souvienne. Le feuilleton « pays de la joie éternelle » serait il de retour après une pause publicitaire ?
Certes, nous avons peur pour notre tourisme, pour nos enfants que l’on a tabassés, pour nos jeunes qui travaillent le jour et gardent leur quartier la nuit. J’ai peur pour eux. Mais j’ai aussi peur pour les 10 millions de Tunisiens, qui avec la joie de s’être débarrassés d’un tyran, en oublient qu’un tyran n’agit jamais seul, et que si le plus gros d’un iceberg se trouve sous la surface, le décapiter ne le fera pas disparaître.
J’ai peur lorsqu’un homme (Rafaa Dkhil) qui a forcé sa propre fille à épouser un Trabelsi, et qui n’a renoncé que lorsqu’elle a menacé de se suicider, essaye de reprendre sa place à la tête de la SNDP malgré le fait que cette dernière ait demandé sa démission, tellement son niveau de corruption est réputé.
J’ai peur quand avant même l’annonce d’un gouvernement provisoire, la relève d’un mafieux prend le temps de demander à Tunisair de mettre 150 millions d’USD de ses propres fonds à aménager le nouvel avion présidentiel, parce qu’il lui est impensable de demander la restitution de l’ancien, qui a été payé par l’argent de l’Etat et du peuple tunisien.
J’ai peur qu’un premier ministre nommé par un tyran (dois-je rappeler aux Tunisiens, mais aussi à l’Europe, qu’en Tunisie le premier ministre est nommé par le président) soit en train de remettre les mêmes ministres qui ont tiré sur la population (Ahmed Friaa), les mêmes qui ont fait des lois et une constitution sur mesure pour permettre à un président de se présenter aussi longtemps qu’il le souhaite (Zouhair Mdahffer), les mêmes qui ont aidé Ben Ali à monter les opérations économiques qui en ont fait, lui et sa famille, un homme riche (Afif Chelbi), aux postes clés d’un gouvernement supposé préparer la transition vers une Tunisie libre.
Comment suis-je supposée avoir confiance en ces gens ? Pourquoi dois je croire que ceux là même qui ont aidé à monter un régime corrompu vont soudainement abandonner tous leurs avantages sans s’y accrocher jusqu’à leur dernier souffle ? Comment dois-je faire confiance à un premier ministre parce qu’il est un technocrate, alors que le fait même qu’il soit un technocrate a fait qu’il a courbé l’échine à chaque fois qu’on lui a fait faire la basse besogne?
Je n’ai pas confiance, pas plus que les milliers de personnes qui continuent à se mobiliser partout dans mon pays. Je n’ai pas confiance parce qu’on leur jette des gaz lacrymogènes pour les faire taire.
Ce que je veux, c’est qu’on ait des ministres qui déclarent avant de prendre leurs postes tous leurs biens, ceux de leurs épouses et de leurs enfants mineurs publiquement, et qui justifient de leur train de vie. Ce que je veux, c’est qu’on n’oublie pas qu’il n’y a pas que les ministères, mais aussi les entreprises et agences qui appartiennent à l’état, et que ceux là aussi doivent rendre des comptes. Ce que je veux, c’est qu’on exige que tous les biens et monnaies qui appartiennent aux Ben Ali Trabelsi Chiboub etc soient saisis, puis rendus à l’Etat.
Ce que je veux, c’est que plus jamais personne n’agisse contre sa conscience parce qu’il vient de recevoir un ordre, mais que chacun fasse ce pour quoi il est payé, en gardant en tête que le jour où il fléchira de nouveau, ce mois de terreur, de faim et d’inquiétude n’aura servi à rien.
Ce que je veux, c’est que tous les matins, on aille travailler mais que jamais on ne se dise que les choses sont redevenues comme avant, et que le népotisme n’est pas si grave que ça parce qu’après tout on a dit à Ben Ali DEGAGE."
Temoignage poignant.
Anne
Rédigé par : Anne | 20/01/2011 à 22:33