Un sondage IFOP paru dans Ouest-France ce dimanche invite les sondés à se prononcer sur "les mesures envisagées" pour réformer le système de retraites. Les résultats sont éloquents : 93 % des sondés sont défavorables à la diminution des pensions, 67 % hostiles au relèvement de l'âge de la retraite au-delà de 60 ans, 62 % hostiles à la hausse de la durée des cotisations, 74 % opposés à la hausse des cotisations sociales, 52 % contre la capitalisation comme solution de complément. Et si la question avait été posée, sûrement plus de 80 % sont pour le maintien du régime par répartition.
Voilà des chiffres clairs. Mais absurdes. Absurdes, car il ne s'agit pas de "mesures envisagées", mais bien des seules mesures envisageables. Comme le disait ce bon vieux Leibniz, nous sommes dans un univers de compossibles. Si l'on veut sauver notre régime de répartition, avec l'évolution de la pyramide des âges (et la diminution mécanique du rapport actifs/inactifs), il faut agir sur l'un des leviers, soit la durée des cotisation, soit le niveau des cotisations, soit le montant des pensions. C'est une équation somme toute assez simple !
Pourtant, ce sondage traduit bien l'état d'esprit de la société française. Il est toujours idiot de blâmer les Français ; ceux qui sont à blâmer, ce sont les responsables politiques et les partenaires sociaux (rappelons-le cogestionnaires du système), qui n'ont pas su poser les enjeux et faire oeuvre de pédagogie. Il existe un Conseil d'orientation des retraites qui devrait justement poser les diagnostics de manière partagée pour tous. Car si les solutions peuvent différer, il est inconcevable de ne pas alerter les Français sur la situation actuelle et les moyens d'y faire face. Dans d'autres pays, les syndicats, puissants, ont joué le jeu de la réforme des retraites. Dans d'autres pays, les oppositions ont fait preuve de responsabilité en partageant l'analyse des gouvernements sur la nécessité d'une réforme. Chez nous, Martine Aubry ose un jour s'attaquer au dogme de la retraite à 60 ans, pour mieux reculer ensuite. Pourtant, c'est sûrement la variable d'ajustement majeure : l'âge de la retraite est passée à 68 ans au Royaume-Uni, à 67 ans en Allemagne, Danemark, Espagne, etc.
Comme l'ont compris les autres pays européens, nous n'avons plus le choix. Certes, il y aura des sujets connexes à aborder, comme la pénibilité, car il est normal qu'un salarié ayant une espérance de vie plus courte du fait de la pénibilité de son travail puisse partir plus tôt en retraite, comme l'emploi des seniors, priorité défendue par le député-maire de Courbevoie, Jacques Kossowski, et sans laquelle l'allongement de la durée de cotisation n'aura pas de sens. La réforme pourra apporter plus d'équité, comme cela a été le cas en 2003. Mais le centre de la réforme est connu : seuls trois leviers sont disponibles. Aujourd'hui, l'immaturité des corps intermédiaires, tout comme l'irresponsabilité de beaucoup de politiques, augure mal de cette réforme. Plus elle est reculée, plus elle sera radicale, et dangereuse pour l'équilibre de notre société, entre les générations, comme au sein d'une génération. Tous les fondements de la protection sociale pourraient être remis en cause. Alors, de grâce, soyez tous responsables, et menez cette réforme avec le courage que le Président de la République et le Premier ministre ont déjà manifesté sur ce dossier, dans un esprit constructif, mettant en avant l'intérêt général.
L'empereur byzantin Basile II, en 1014, aveugla 15 000 soldats bulgares. Pour chaque cent soldats, un fut laissé avec un oeil voyant, afin de les guider vers leur roi, qui en mourut de saisissement. Le parallèle avec cette histoire me demanderez-vous ? Il est saisissant de constater que les Français sont frappés de cécité sur la question des retraites, parce que trop de responsables politiques, comme les corps sociaux intermédiaires, ne voient qu'avec un seul oeil, celui du court terme. Absence de pédagogie, impossibilité du diagnostic partagé, faiblesse des corps intermédiaires : voici des maux qui risquent de peser lourd à l'heure où il est plus que jamais nécessaire de réformer.
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