Nous avons fait un grand choix au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un choix dont nous pouvons mesurer les effets, mais dont nous peinons à analyser les conséquences : nous avons privilégié la durée de notre vie et sa qualité à nos revenus. Nous avons construit un système de santé qui compte parmi les plus performants au monde, notre espérance de vie n'a cessé de progresser (elle est directement correlée à l'efficacité d'un système de santé et à l'importance des dépenses qui y sont consacrées), la maladie de reculer, et nous projetons un grand débat national pour savoir comment nous allons financer la dépendance des personnes âgées. Pour améliorer et étendre ce système, tout le monde est d'accord. Mais personne ne veut en payer le prix. Ou plutôt personne n'imagine exactement le coût de ces avancées sociales, un coût que nous nous partageons. Nous pouvons décider collectivement que l'arbitrage que nous faisons entre qualité/longueur de vie et revenus immédiats est un arbitrage intelligent - ce que je pense -, mais encore faudrait-il régulièrement le soumettre à un vrai débat démocratique. Car, enfin, quoi de plus normal que les citoyens se prononcent sur ce qui touchent à leur plus intime, et qui est en grande partie déterminé pard es politiques publiques !
En s'opposant à l'allongement de la durée de cotisations, on déséquilibre le système et on réduit les revenus disponibles pour les actifs au profit des retraités. En s'opposant aux déremboursements de médicaments, alors même que notre système de santé rembourse pour 1 milliard d'euros de médicaments innovants en plus chaque année , on alourdit la note du système d'assurance maladie de façon mécanique. Alors, il ne faut pas non plus s'étonner de voir notre pouvoir d'achat stagner ! Cela me rappelle d'ailleurs une proposition qui visait à donner aux salariés, sur leur bulletin de paie, le montant total de ce que paie l’entreprise pour les rémunérer, avec la part dévolue à la protection sociale. Cette proposition avait le mérite de montrer très clairement la part que chacun consacre à sa santé et à l'allongement de sa durée de vie via les cotisations sociales. Certes, elle est obligatoire, c'est un élément de notre pacte social. mais ce sont bien des dépenses qui profitent à l'individu, qu'il n'a pas lui-même à engager.
Simplement, nous ne posons jamais les choix simples qui sont ceux de notre protection sociale. La santé est vue comme un progrès absolu, créateur d’obligations qui s’imposent à tous. C'est un impensé majeur de notre débat démocratique. Des questions comme : « souhaitons nous rembourser à tout le monde des médicaments comme l'aspirine ou souhaitons nous rembourser les médicaments les plus innovants pour les quelques personnes qui en ont besoin ? » ne sont jamais posées. De la même façon, des techniques de financement de la dépendance comme le recours sur succession (et savoir s’il comprend l'outil de travail...) doivent faire l'objet de débats. Les bases de notre système, comme la solidarité intergénérationnelle pour les retraites en sont jamais réaffirmées ni interrogées en fonction de la nouvelle répartition des âges de la vie. Nous appelons réforme des mesures d'ajustement technique, et, parallèlement, des choix très engageants pour la société sont fait en permanence, sans débat, en étant habillés comme des mesures techniques.
Notre contrat de protection sociale et de solidarité mérite d'être remis à plat, les liens qui le constituent doivent être davantage lisibles, et de grands débats de société sur les âges de la vie, sur le financement de la solidarité nationale, sur la gestion des risques doivent enfin avoir lieu. Espérons que le débat sur la dépendance et le 5e risque soit l'occasion de ce débat intelligent qui revivifierait notre démocratie sociale, en redonnant sens à la fraternité et à la solidarité qui cimentent notre société.
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