Mercredi 12 janvier a eu lieu le premier débat 2011 du débat Club 89, qui a réuni, autour de Benoist Apparu et Bruno Bourg-Broc, Claude Allègre, François Ewald et Martin Guespereau sur le thème du principe de précaution. 417 personnes ont assisté au débat, ce qui montre combien le choix de ce thème, à la croisée des attentes de notre société en termes de sécurités comme de libertés, était pertinent. J'ai été très heureux de pouvoir préparer, avec Nicolas Appert, ce débat, qui pourra se poursuivre sur internet sur le site du Club 89 www.club89.org, où est disponible la contribution que je reproduis ici. Le prochain débat sera consacré à l'égalité des chances et aura lieu le 1er février. Avis aux personnes intéressées !
La préconisation du Club 89 est de faire un choix de société : dépasser le principe de précaution dans son acception actuelle pour mettre en œuvre un principe de véritable gestion des risques. Le principe de précaution, vrai progrès lors de son adoption, a été dévoyé : aujourd’hui, il est mis à toutes les sauces, il est l’alibi de tous les immobilismes, le parapluie des politiques pour ne pas faire des choix difficile ou dangereux. Il est devenu le symptôme d’une société qui refuse le risque. Or le risque zéro n’existe pas, il faut apprendre à vivre avec le risque, et comparer ses coûts avec les avantages attendus. Innover, c’est risquer, et nous avons besoin d’innover pour notre croissance ! Cela ne veut pas dire ignorer le risque, bien au contraire, mais mieux le mesurer, l’assumer, et donc le gérer. C’est cela être responsable : passer à une vraie gestion des risques, proposer des choix clairs et conscients à nos concitoyens, ne pas se priver du progrès par simple peur, trouver des solutions innovantes pour continuer à agir tout en réduisant les risques pour nos concitoyens. Préférer le principe de gestion des risques au principe de précaution, équilibrer ce principe dans notre Constitution par un principe d'innovation, c’est donc faire le choix de plus de libertés pour plus de sécurités.
Nous sommes bien entrés dans une société du risque – pour reprendre le titre de l’ouvrage fondateur d’Ulrich Beck -, et c’est dans ce contexte que le Club 89 a souhaité consacrer son premier débat de l’année 2011, qui a réuni 417 personnes, au principe de précaution. Au terme des échanges animés qui se sont déroulés avec Claude Allègre, François Ewald et Martin Guespereau, nous avons pu tirer plusieurs enseignements qui nous conduisent à penser qu’il faut dépasser le principe de précaution dans son acception actuelle pour atteindre un principe de véritable gestion des risques.
Le premier enseignement, c’est le dévoiement actuel du principe de précaution. Nous sommes passés d’un principe de précaution qui vise à gérer le risque en amont, dans un contexte d’incertitude scientifique, à un principe de précaution qui ôte toute acceptabilité sociale au risque, même s’il est parfaitement connu. De la même manière, le principe de précaution né des préoccupations environnementales et sanitaires est en train d’envahir tous les champs de l’activité humaine – n’a-t-il pas été récemment associé aux marchés financiers ? Aujourd’hui, le principe de précaution est devenu le réceptacle de toutes les peurs, un alibi pour tous les immobilismes, un parapluie pour tous les politiques qui ne veulent pas faire de choix difficiles et dangereux. Principe d’inaction, il devient aussi un principe qui ne permet même plus l’évaluation du risque, comme en témoigne le blocage sur les OGM. Or il faut bien connaître le risque, le mesurer, pour l’évaluer et agir ! Il faut sortir de cette impasse, et remettre la question de la gestion des risques au cœur du débat et de la décision politique. Cela veut dire redonner du sens à la notion de risques et à leur hiérarchisation. Or notre époque a vu davantage progresser la conscience des risques, leur éclairage médiatique, que leur réalité. Il faut mettre fin à cette spirale de la peur qui empêche toute réflexion partagée sur le risque.
Le deuxième enseignement, c’est que notre société doit apprendre à vivre avec l’idée de risques. Le risque zéro n’existe pas, il est excessivement périlleux de laisser s’installer chez nos concitoyens ce sentiment que le risque peut être totalement annihilé. Et ce d’autant plus que toute activité humaine comporte une part de risque : la prise de risque est une valeur en soi, c’est celle de l’innovation, et l’innovation représente sans conteste la croissance de demain. Il faut sortir d’une situation où le risque, quel qu’il soit, est doté par la société d’une valeur supérieure aux bienfaits potentiels d’une innovation, quels qu’ils soient. C’est d’ailleurs un arbitrage que nous faisons sans nous en rendre forcément compte. Nous sommes dans une époque technophile, où, paradoxalement, le niveau de risque acceptable lié aux nouvelles technologies est très bas. Mais il est biaisé par nos perceptions : ainsi, si les antennes-relais paraissent plus dangereuses que le téléphone mobile, alors même que les seuls soupçons étayés de risque potentiel pèsent sur le mobile, c’est en grande partie parce que les antennes induisent également une nuisance esthétique, tandis que le portable est devenu un élément indispensable de notre quotidien… L’arbitrage entre risque et utilité sociale existe : nous le faisons tous les jours et le reconstruisons sans cesse !
C’est donc un principe de gestion des risques qu’il nous faut adopter face à un principe de précaution dévoyé. C’est l’enseignement principal que nous tirons de ce débat et c’est la préconisation du Club 89. Vivre avec le risque ne signifie pas ne plus vivre : il est essentiel de ne pas s’enfermer dans l’immobilisme mais de continuer à croire au progrès et à l’innovation.
C’est un principe de responsabilité du politique, qui doit faire des choix et les assumer. Pour cela, il est nécessaire d’établir une nouvelle articulation entre l’expert scientifique, le responsable politique et le citoyen, pour redonner de la rationalité à nos choix sociaux. Il faut aussi oser dire cette vérité simple : la science qui donne la vérité, c’est fini ! A l’incertitude scientifique correspond des décisions politiques, qui sont susceptibles d’évoluer avec le temps, en même temps que la science évolue. Mais cela ne peut plus signifier ne rien faire dans l’incertitude : c’est tout le contraire d’ailleurs du principe de précaution tel que défini dans la Charte de l’environnement. Il faut accepter le caractère dynamique de la gestion des risques, et son principe d’action.
C’est un principe de transparence : il faut oser parler des risques à nos concitoyens, leur présenter des choix clairs, leur tenir un langage de vérité. Car aujourd’hui la question des risques peut être confisquée par des groupes de pression qui pratiquent, parfois avec succès, l’intimidation des responsables politiques et économiques. Pour ceux-ci, le principe de précaution devient alors un outil de protection individuelle ou de communication, plus qu’un principe d’évaluation et d’action. Un tel excès peut devenir dangereux pour l’intérêt général et opaque pour la démocratie !
C’est un principe de progrès, qui permet de ne pas freiner l’activité humaine, sans mettre en danger l’homme et son environnement pour autant. Nous devons retrouver le goût de la prise de risque et de l’innovation. L’image d’un pays riche et frileux, d’une société qui se retranche derrière ses peurs, qui doute et n’a plus confiance en l’avenir, doit laisser place à image de confiance collective, d’une société audacieuse, consciente des choix qu’elle effectue et des risques qu’elle est prête à accepter. La déconnexion qui s’est établie entre progrès scientifique et progrès humain menace non seulement nos perspectives de croissance économique, mais aussi de bien-être. Nous en arriverions presque à mettre en danger nos principales marges de progression, d’emploi, d’avenir, qui reposent sur l’innovation, alors même que nous souffrons d’une crise économique et sociale. Est-ce vraiment cela que nous voulons ? Et d’ailleurs, pour réduire les risques, mieux protéger notre environnement, améliorer notre santé, ne faut-il pas renforcer l’innovation ? D'ailleurs, la proposition avait été faite lors de l'introduction du principe de précaution dans la Constitution de l'accompagner d'un autre principe tout aussi essentiel : le principe d'innovation. Voici une proposition forte qui permettrait de mieux traduire la double préoccupation de protection et de liberté qui est la nôtre.
En résumé, ce principe de gestion des risques repose sur un triptyque simple : premier point, mesurer le risque pour évaluer le rapport coût – avantage, deuxième point, prendre une décision consciente, transparente et assumée, troisième point, utiliser l’innovation pour limiter le risque. Ainsi conçu il permet plus de libertés tout en apportant plus de sécurités. Et j’ajouterais que le principe de gestion des risques n’a aucune prétention ni à l’éternité, ni à l’universalité : il doit être adaptable et révisable en permanence.
Pour illustrer ce propos, je prendrais l’exemple des zones inondables en région parisienne qui sont aujourd’hui déclarées inconstructibles. Gérer le risque, c’est plus adapter la construction dans ces zones, comme l’a proposé l’architecte Roland Castro, qu’y renoncer purement et simplement ! Et quand on pense à l’impératif de construction de logements neufs en Ile-de-France, il faut savoir accepter le risque au nom du mieux-être collectif. D’autant plus que des technologies modernes permettent de réduire ce risque.
C’est un équilibre à trouver entre les libertés qui doivent être laissées à l’innovation et à la recherche, moteurs d’un développement économique comme humain, et la nécessité d’une gestion des risques que nous sommes en droit d’attendre de l’Etat pour nous protéger, protéger notre environnement, garantir notre avenir. Il faut apprendre à gérer les risques auxquels nous faisons face, savoir quel est le niveau de protection que nous voulons, et les espaces de responsabilité et de liberté que nous nous ménageons. Cela illustre parfaitement le fil conducteur qu’a choisi le Club 89 pour ses débats en 2011, « Nouvelles libertés, nouvelles sécurités ». Dans tous les domaines, nous sommes confrontés au paradoxe d’une société qui se sent à la fois trop corsetée, et plus assez protégée. Pour faire avancer la société autour d’un projet commun, il faut donc apprendre à vivre avec les risques auxquels nous faisons face, savoir quel est le niveau de protection que nous voulons, et les espaces de responsabilité et de liberté que nous nous ménageons. Ce sont des choix politiques, des choix sociaux que nous devons faire en matière de risques environnementaux et sanitaires bien sûr, mais aussi dans des domaines comme les libertés publiques, la protection sociale, l’économie, l’égalité des chances, autant de domaines que nous aborderons, entre autres, lors de prochains débats. Autant de thèmes qui dessinent un pacte social renouvelé, celui qu’attendent nos concitoyens pour 2012 !
BENOIST APPARU, PRESIDENT DU CLUB 89, SECRETAIRE D’ÉTAT CHARGE DU LOGEMENT
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