La conférence de Paris la semaine dernière a acté la chute du régime de Kadhafi et la naissance d'une nouveau régime en Libye, que l'on peut espérer démocratique malgré les difficultés auxquelles ce pouvoir va être confronté. Il est frappant de voir comment le monde arabe a évolué en 6 mois - et l'on peut souhaiter que ce mouvement se poursuive, notamment en Syrie, où la communauté internationale (et particulièrement la Ligue arabe) peut jouer un grand rôle.
La révolte sociale en Tunisie (http://jeanspiri.typepad.fr/blog/2011/01/la-situation-en-tunisie-vue-par-une-tunisienne.html) et en Egypte est devenue politique, et a fait des émules dans tout le monde méditerranéen et de la péninsule arabique. Il faut notamment saluer le cas du Maroc, où ont été constitutionnalisés de nouveaux organes essentiels, dont on peut espérer qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle, que ce soit la commission nationale des droits de l'homme, celle des données personnelles, le médiateur ou encore le conseil de la concurrence. Et aujourd'hui, c'est la Libye qui connaît ce renouveau. Dans ce cas précis, la communauté internationale a enfin compris quelle devait être son action - il faut souligner le rôle particulier joué par la France et le président Nicolas Sarkozy, qui a su convaincre ses partenaires, et ainsi s'est replacée au centre du jeu méditerranéen, après les hésitations des premiers temps en Tunisie par exemple. Bien évidemment, les transitions que connaissent ces pays sont toutes différentes, comme le sont leurs structures sociales, le niveau d'organisation de leur société civile, les formes du pouvoir. Pour une analyse plus fouillée, je conseille la lecture de la tribune de Jean-Pierre Filiu : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/27/l-exception-libyenne_1564311_3232.html.
Au-delà de l'intérêt que présentent ces transitions nées de mouvements sociaux, ce qui est frappant, c'est l'abandon d'une doctrine qui a marqué le monde post-11 septembre, celle de la supériorité du couple sécurité et stabilité versus le couple paix et démocratie. Cette illusion a servi de guide aux puissances occidentales dans leur soutien inconditionnel aux dictatures qui, selon eux, assuraient la sécurité et la stabilité de leur région. La paix et la démocratie n'étaient alors plus considérées que comme des optima théoriques inatteignables, et à la poursuite chimérique - voire dangereuse - desquels il fallait préférer le maintien de régimes antidémocratiques, mais stables. Le premier ébranlement de cette théorie est venu du constat que ces régimes dits stables ne l'étaient pas tant que ça, et pouvaient même attiser les extrémismes. Et l'ébranlement majeur est venu de ce printemps arabe. C'est aujourd'hui un retournement conceptuel fort : la conviction que la paix et la démocratie sont des valeurs suffisamment fortes pour justement garantir la sécurité et la stabilité, même si cela doit passer par des phases d'instabilité. Cela signifie également une perception plus mesurée - et raisonnée - de la "menace islamiste", et la sortie de cette alternative : dictature ou islamisme. Il est frappant d'ailleurs de voir qu'il n'y ait que Marine Le Pen pour continuer à utiliser cet argument, alors même qu'il était répandu dans toute la classe politique avant la chute de Ben Ali. Il était temps de se convaincre que la démocratie dans le monde arabe ne débouchait pas mécaniquement sur le fanatisme !!! Au nom de quoi la chute de Ben Ali est-elle une menace pour la liberté de la femme tunisienne ? Les quelques mois écoulés depuis la révolution tunisienne ont mis à bas ces clichés sur le monde arabo-musulman. Après une période post-guerre froide, où notre lecture de la fin de l'histoire chère à Fukuyama - c'est-à-dire le triomphe de la démocratie libérale -, s'est trouvée brouillée, l'idée qu'il existe un sens démocratique de l'histoire porteur de progrès commun reprend de la valeur. De la même façon, il ne s'agit plus de la démocratie factice et importée que prônait l'administration Bush en Irak, mais bien de la démocratie endogène que décrit Amartya Sen dans son ouvrage à lire absolument, La démocratie des autres.
Comment vont désormais s'organiser les rapports entre le nord et le sud de la Méditerranée, sur les bases d'un nouveau pacte démocratique - et social, puisque nous ne pouvons ignorer les attentes des sociétés qui ont créé ces mouvements politiques ? C'est cela, au-delà de la reconstruction libyenne (et de son pétrole), qui doit désormais préoccuper l'Europe. L'Union pour la Méditerranée souffrira-t-elle d'être née trop tôt, ou peut-elle renaître comme une ambition nouvelle ? C'est en tout cas une question à laquelle les candidats à l'élection présidentielle de 2012 devront répondre.
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