Ce lundi 16 mai avait lieu le débat du Club 89 sur le thème "Liberté, égalité, parité ?" qui a ressemblé près de 150 personnes à l'Assemblée nationale autour d'intervenants passionnants. Voici la tribune de Benoist Apparu, président du Club, qui reprend les nombreuses propositions avancées lors de ce débat.
« L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation », écrivait Stendhal il y a déjà un siècle et demi. Force est de constater aujourd’hui que si l’égalité théorique a beaucoup progressé ces dernières années, l’égalité parfaite – l’égalité de fait – est encore un objectif à atteindre.
Certes, les lois se sont succédé – plus de six depuis 1972 sur l’égalité professionnelle - ; certes, la parité en politique est une obligation pour les scrutins de liste ; certes, la féminisation des dirigeants d’entreprise a commencé – et la loi Copé-Zimmermann de 2010 va entraîner une accélération.
Mais il n’en demeure pas moins que l’écart de salaire, quel que soit le mode de calcul, n’est jamais inférieur à 16 % ; que les femmes représentent moins de 20 % des parlementaires, qu’elles sont trop rares dans les postes de la haute administration ou dans les cercles dirigeants de l’entreprise.
Et aux chiffres s’ajoutent les stéréotypes qui perdurent et structurent notre société, ces représentations qui ont des conséquences bien réelles sur les choix d’orientation des jeunes filles ou bien encore sur les choix de vie des jeunes femmes.
Pour autant, notre modèle français présente aussi des aspects particuliers et positifs que nous devons préserver, notamment le plus fort taux de fécondité de l’Union européenne associé à taux élevé d’activité féminine, fruit d’une active politique familiale.
Partant de ces constats et considérant que les droits de la femme sont la liberté de l'Homme, le Club 89 a décidé de s’interroger, dans le cadre de la thématique Nouvelles libertés, nouvelles sécurités, sur les moyens de changer les représentations culturelles attachées au statut de la femme dans la société, de faire évoluer les comportements associés et surtout de garantir un nouveau degré de liberté aux femmes.
Le Club a donc organisé un débat autour de plusieurs thèmes, la question des quotas, la réforme du congé maternité ou encore l’engagement des entreprises en matière d’égalité professionnelle. Ce débat, qui s’est tenu le 16 mai autour de Marie-Laure Sauty de Chalon, Françoise Guégot, Jérôme Ballarin, Sylvette Dionisi et Arielle Schwab, a été très riche, et si certaines questions restent encore ouvertes, nous pouvons en tirer plusieurs convictions fortes.
La première, c’est que l’Etat doit être exemplaire, et que nous ne pouvons continuer à parler de l’égalité professionnelle en entreprise sans envoyer des signaux forts.
La deuxième, c’est qu’il est nécessaire de ne pas ajouter encore de la norme à la norme, de surcharger les entreprises, mais qu’il faut miser sur une approche en termes de bonnes pratiques et de mesure des résultats.
La troisième, c’est qu’il est temps de considérer que les moyens ont dû produire des résultats, et qu’il ne faut pas hésiter à mettre en avant ceux qui ne font pas assez d’efforts en matière d’égalité, qu’il s’agisse de partis politiques, d’administrations ou d’entreprises.
Nous avons appliqué ces principes dans trois directions qui nous semblent prioritaires.
Première priorité, favoriser la mixité dans les lieux de décision, et notamment dans la fonction publique.
Pour cela, nous sommes favorables aux propositions de Françoise Guégot qui souhaite atteindre une proportion minimum de 40 % de cadres dirigeants de l’un ou l’autre sexe nommés en conseil des Ministres. Elle propose par exemple que, pour les nominations en conseils des Ministres qui concernent les emplois de direction dans les établissements publics ou les directeurs d’administration centrale, les listes de quatre noms transmises au secrétariat général du Gouvernement comprennent au moins deux noms de femmes. Il s’agirait également d’appliquer un seuil minimum de 40 % de femmes dans tous les jurys de recrutement dans la fonction publique, y compris la fonction publique territoriale et hospitalière. Nous souhaitons aussi que la loi Copé-Zimmermann, qui prévoit 40 % de femmes au minimum dans les conseils d’administration des grandes entreprises, soit élargie à tous les établissements publics.
Ce mouvement devra servir d’exemple au secteur privé, et notamment aux très grandes entreprises, celles qui réalisent plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires et comptent plus de 5000 salariés. La même obligation d’atteindre un minimum de 40 % de femmes dans leurs comités de direction ou comités exécutifs leur sera appliquée, avec des sanctions financières en cas de non-respect. L’exemple de ces grandes entreprises devra servir aux PME, qui seront incitées à mettre en œuvre ces bonnes pratiques. Ainsi, nous ferons émerger une génération de talents féminins, qui diversifieront les profils dans ces postes, et rendront à terme inutiles ces mécanismes d’incitation. Bien évidemment, l’objectif n’est pas seulement de parvenir à une parité dans les organes de décision, mais bien de faire émerger à tous les niveaux de l’entreprise et de l’administration un vivier de compétences des deux sexes, rendant le choix possible pour des promotions à tous les échelons.
Deuxième priorité, favoriser une juste représentation des femmes dans la vie politique, en appliquant un système de bonus/malus qui porterait sur le nombre de femmes élues, et non candidates. Les partis politiques mettent en œuvre des stratégies de contournement qui leur permettent de présenter des femmes aux élections uninominales dans des endroits réputés ingagnables. Rappelons par exemple, qu’il n’y a que 18,5 % de femmes aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
Il faudrait par conséquent instaurer une prime au résultat, en tenant compte des positions actuelles. Nous pourrions envisager une règle simple : tous les partis qui dépasseraient les 30 % de femmes élues se verraient accorder un bonus financier, tous ceux qui seraient en dessous se verraient appliquer un malus. Et à l’élection suivante, ce taux pourrait augmenter. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de fixer à terme un quota cible de femmes élues, mais bien de créer pendant quelques élections un vrai système d’encouragement, une dynamique qui permettrait de féminiser le personnel politique à tous les échelons. Ce système se régulerait ensuite de lui-même, sans qu’il soit nécessaire de fixer de manière pérenne des quotas.
Troisième priorité, mettre en œuvre l’égalité professionnelle et salariale. Il existe désormais des outils comme le rapport de situation comparée, qui met en avant les écarts salariaux entre les hommes et les femmes, qui permettent de mieux connaître la situation de chaque entreprise. Il existe également une obligation de négocier avec les partenaires sociaux des accords sur l’égalité salariale qui constituent un vrai plan propre à chaque entreprise pour atteindre l’égalité professionnelle.
Mais ces outils doivent être utilisés, et ils doivent produire des résultats : pour cela, le Club 89 propose d’instaurer la pratique du « name and shame » pour les entreprises qui n’ont pas conclu d’accord d’égalité professionnelle, qui n’ont pas réalisé de rapport de situation comparée, ou dans le cas où celui-ci révèle des écarts bien supérieurs aux moyennes constatées sur la branche d’activité. Le nom des entreprises présentant les plus mauvais résultats en la matière sera publié. Cette médiatisation devrait conduire l’entreprise à s’améliorer.
Une autre manière d’encourager les entreprises à se montrer exemplaires en la matière est d’introduire des critères relatifs au respect de l’égalité professionnelle dans les marchés publics et autres contrats relevant de la commande publique, qui représentent 10 % du PIB national. Un critère de recevabilité des offres tenant au respect de la législation pourrait être introduit, tandis que la performance de l’entreprise dans ce domaine pourrait constituer un des critères légaux de sélection.
Autre sujet important, celui de l’emploi des femmes après la maternité. La question de l’allongement de la durée du congé maternité a fait l’objet de nombreux débats au sein du club, entre ceux qui pensaient qu’il s’agissait d’un progrès pour les femmes et ceux qui considéraient que ce type de mesure présentait un risque d’éloignement du travail – sans parler de son coût important. En revanche, nous nous sommes accordés sur la nécessité de rendre le congé paternité de 11 jours obligatoire, car il nous semble que cela participe de l’évolution des mentalités en favorisant un meilleur partage des tâches, et tend à lisser le risque maternité pour l’employeur, dans la mesure où il s’étend aux hommes.
Par ailleurs, il nous semble normal d’assurer un suivi obligatoire avant, pendant et après le congé maternité, afin de permettre aux mères de mieux gérer la reprise de leur activité.
Enfin, nous croyons qu’il faut réformer le congé parental. Tel qu’il est aujourd’hui conçu, ce dispositif éloigne chaque année 800 000 femmes de l’emploi. Il nous semble donc nécessaire de le raccourcir à une durée maximale d’un an, tout en le rémunérant mieux. Nous souhaitons également l’instauration d’un droit spécifique à la formation pendant le congé parental, afin de faciliter le retour à l’emploi. C’est une mesure importante pour lutter contre la précarisation de l’emploi féminin.
La parité est un thème qui a fait l’objet de nombreux débats au sein du Club 89. Au fur et à mesure que nous cheminions dans nos réflexions, une idée forte a émergé, celle de mettre notre pays en harmonie avec ses valeurs, ses principes et sa législation.
Les mesures que nous proposons ne sont pas compliquées à prendre. Elles ne nécessitent pas, pour la plupart, de financements supplémentaires. Mais elles requièrent du courage politique. Car il est plus simple de fixer des objectifs en termes de moyens plutôt qu’en termes de résultats. Car il est difficile de mettre à l’index de grandes entreprises. C’est pourquoi le courage doit s’accompagner d’une exigence particulière pour la sphère publique, comme cela a été le cas pour le Grenelle de l’environnement. Et elle ne pourra s’enraciner durablement que si elle s’accompagne d’une évolution des mentalités, d’un changement des représentations sociales et culturelles.
Trop souvent, nous définissons la parité comme un panel de mesures destiné à favoriser la femme par rapport à l’homme. La parité n’est pas féminine, elle est tout simplement sociétale. Elle doit s’entendre aussi comme une nouvelle manière d’organiser plus harmonieusement la vie familiale.
Nous devons cesser de penser qu’il s’agit d’une politique catégorielle ; comme le rappelait Stendhal, c’est une politique de civilisation, qui, si elle parvenait à ses objectifs, « doublerait les forces intellectuelles du genre humain » !
Benoist APPARU, Président du Club 89, Secrétaire d'Etat chargé du Logement
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