Le livre de Judith Schalansky, Atlas des îles abandonnées, fait partie, comme le Warhol Spirit de Cécile Guilbert, de ces livres dont les auteurs ont aussi composé la maquette et qui sont des objets uniques, des œuvres totales. Si vous ne l’avez pas reçu à Noël, foncez l’acheter, vous ne serez pas déçus, car c’est un bel ouvrage autant qu’un ouvreur de rêves. « La cartographie ne devrait-elle pas être intégrée à l’art poétique et l’atlas à celui des belles lettres ? » s’interroge l’auteur en introduction. Après avoir lu son livre, on ne peut que répondre par l’affirmative !
Je partage avec l’auteur cette fascination des cartes, et notamment des cartes marines (certaines de la Laponie du XVIIe siècle, que je possède, sont presque des œuvres abstraites, avec leurs axes en roses des vents, le simple tracé de la côte et une infime touche de couleur vive). Les cartes racontent une pluralité d’histoires, permettent de s’abîmer sans fin dans les détails, la topographie, la toponymie, elles nous dressent des paysages qui sont aussi des paysages intérieurs, elles sont le point de départ de toutes les rêveries, méditations, qu’elles sont lyriques, ésotériques ou historiques. C’est exactement le voyage que propose d’île en île l’auteur, de façon très personnelle, avec des notices qui sont historiques, factuelles ou romanesques voire poétiques. IL faut dire que les îles, qui ont toujours fasciné, notamment lorsqu’elles sont abandonnées ou très peu fréquentées, se prêtent particulièrement bien à l’exercice, comme le souligne Olivier de Kersauson dans sa préface : « L’île est le paradis de la connaissance de soi », et donc le réceptacle de toutes les rêveries et fantasmes humains.
Ce livre se situe également dans la belle tradition de la Renaissance du theatrum orbis terrarum, comme le magnifique Carta Marina d’Olaus Magnus édité chez José Corti par Elena Balzamo, où les prodigieuses cartes marines du XVIe siècles du cartographe scandinave servent de support aux écrits fantastiques come aux observations ethnographiques.
Si je devais ajouter une île à cet atlas pour réaliser ma propre cartographie des îles magiques, j’y ajouterais celle de Værøy, en Norvège, au sud des Lofoten.
Værøy signifie l'île du temps - temps au sens météorologique, ce qui n'est guère étonnant puisqu'il a la réputation d'être très changeant sur cette île. L’île compte 743 habitants pour un peu moins de 18 km², son économie repose essentiellement sur la pêche à la morue et l’on y pratique des activités traditionnelles réjouissantes comme la capture des aigles à mains nues. On y arrive en hélicoptère ou en bateau, mais en hélicoptère (qui s'emprunte un peu dans le nord comme un bus), c'est vraiment superbe.
Pour la petite histoire, quand j'y suis allé avec un ami norvégien, nous nous réjouissions de faire un bon repas dans le seul restaurant de l’île et de faire une promenade en bateau pour aller voir les oiseaux. Las, ce jour-là, la fille du restaurateur épousait le fils du possesseur du bateau pour touristes, ce qui représente, on l’avouera, un singulier manque de chances. Après moult discussions, nous avons fini par dégotter le numéro de téléphone d’un pêcheur fâché avec le père du marié, qui a accepté de nous emmener en mer !
La journée fut donc loin d’être perdue, entre l’escalade des falaises, la balade en mer, et surtout la découverte du chien à six doigts. D’après notre guide, une espèce autochtone et darwinienne de chien se serait développée sur l’île, possédant un sixième doigt pour mieux escalader les falaises à la recherche de son repas, le macareux moine (emblème de l’île). Après des recherches intenses (seuls quelques chiens subsistent selon le guide), nous avons découvert un spécimen, assez roquet, de chien à six doigts ! Même si cela ne se voit guère sur la photo, il a vraiment six doigts (nous l’avons approché au péril de notre vie). Cette île sera donc toujours pour moi, l'île du chien à six doigts ou Sekstærhundøy en langue locale. Si vous avez l’occasion d’aller aux Lofoten, ne négligez pas cette île !
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