Alors que l'attribution de la Légion d'honneur à Patrice de Maistre fait couler beaucoup d'encre, il n'est pas inintéressant de suivre le chemin qui sépare une demande d'une attribution. Le but de ce petit exposé n'est absolument pas de se pencher sur l'affaire actuelle, ni de disserter sur la qualité des personnes à qui on attribue une décoration, mais plutôt de raconter, avec ma petite expérience, ce que je sais du parcours des décorations. En prenant l'exemple de la Légion d'honneur.
Traditionnellement, ce n'est pas le futur récipiendaire qui fait la demande - on la fait pour lui, mais les temps changent... Les suggestions de décoration parviennent aux différents ministres par des chemins très différents : venant de l'administration, venant des corps intermédiaires, associations, ordres professionnels,..., venant des élus, venant d'individus. Or chaque ministère dispose d'un contingent limité (auquel il faut ajouter celui de la Grande Chancellerie), et doit désormais respecter la parité.
Le cabinet d'un ministre est donc assailli de demandes de décoration ; c'est aussi le cas des élus locaux et des différents responsables politiques. Dans le cas d'un ministre, c'est lui qui attribue la décoration. Dans le cas des personnalités politiques, celles-ci ne disposent que d'une arme : le courrier de recommandation. Mais dans la mesure où ils ne sont pas décisionnaires, ils ont souvent intérêt à signer le maximum de courriers de recommandation, pour en faire porter une copie à celui qui espère - ou ceux qui le soutiennent. Je suis persuadé que de nombreux élus ne connaissent pas personnellement ou ont oublié la moitié des personnes recommandées. Cela ne signifie pas pour autant que ces personnes n'étaient pas méritantes !
Tout cela pour dire que ces demandes de décoration passent entre de nombreuses mains, connaissent des circuits de décision compliqués, et des avis nombreux.
Et ce n'est pas fini. Une fois les dossiers présentés par un ministère transmis, il y a une demande de renseignements émis au niveau de la préfecture, et un dossier à remplir. Les demandes ne sont pas faites à la légère ; même si les CV sont de plus en plus variés, il faut quand même qu'ils soient pleins.
Au final, les promotions de la Légion d'honneur sont surtout marquées par la qualité des récipiendaires, dont beaucoup sont reconnus dans leur domaine d'activité. Il n'y a qu'à voir les nombreuses personnes qui voulaient récemment renvoyer leur Légion d'honneur .... c'est la preuve que ceux qui ont consacré beaucoup de temps et d'énergie aux personnes les plus fragiles de notre société ont bien été reconnues !
Recommander quelqu'un pour une décoration est certes un acte engageant, mais il ne signifie pas la même chose que de les attribuer soi-même, encore moins un échange de bons procédés. Les reproches de "trafic d'influence" faits à Eric Woerth paraissent donc disproportionnés.
Un vrai scandale dans l'attribution des décorations avait contraint quelqu'un à la démission. Mais c'était en 1887 et il s'agissait du Président Jules Grévy. La presse de l'époque dévoila que le gendre du Président, le député Daniel Wilson, négociait avec des hommes d'affaires leur participation à ses entreprises ou des subventions à des journaux de province en échange de décorations. Cela conduisit à la démission de son beau-père, mais ne l'empêcha pas d'être réélu ! Les chansonniers ne sont pas privés d'ironiser, avec une chanson célèbre à l'époque "Quel malheur d'avoir un gendre !", et sa variante "Quel bonheur d'avoir un beau-père !". On le voit, dans cette affaire, il s'agit d'un véritable achat de décorations !
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